B/ Analyse planche par planche

Planche I

Trois réponses organisent la planche. La première est marquée par un bon ancrage dans la réalité avec une réponse de type banal. Puis le contrôle formel est rapidement mis à mal. La seconde réponse (confabulatoire contaminée) indique un glissement de règne (humain/animal) ainsi qu’une prise en compte de la totalité du percept, mais à partir d’un détail. La représentation se présente alors comme un collage de plusieurs éléments hétérogènes. La difformité du contenu n’est pas directement exprimée. Une autre saisie de la planche, toujours dans une perception globale, amène un contenu animal à valence anxiogène ou agressive (« ses dents »). La formalisation reste ici correcte et tributaire du blanc (fond) englobé dans la forme.

La planche semble poser le problème d’une globalisation hâtive qui aboutit à une mauvaise qualité formelle. Si la planche suscite des compositions globales, la qualité des réponses G se situent sur la base d’une construction très simple. Il n’y a pas de combinaison particulièrement élaborée.

Planche II

D’une manière générale, la formalisation reste de mauvaise qualité (F-) quand elle ne s’accompagne pas du déterminant couleur (rouge ou blanc).

La première réponse (papillon), fréquemment observée, semble conditionnée dans une certaine mesure, par la planche précédente (persévération). Le rouge est intégré à la forme quasi immédiatement. Si l’on parle de couleur en relation avec l’affect, il convient de préciser avec N. Rausch de Traubenberg, que la couleur souligne plus « l’excitabilité de l’affect que l’affect lui-même » (1970, p. 124). C’est dans ce sens que nous pouvons éventuellement interpréter les deux réponses intégrant la couleur (réponse 4 et 7) dans le registre de l’affectivité qui se manifeste pour « vibrer » avec les éléments extérieurs.

La seconde réponse est conçue selon un emboîtement animal (lion, singe) qui rappelle la construction de la Planche I (réponse 2). Le besoin de formalisation « à tout prix » précipite la réponse dont le résultat est une interprétation qui perd le rapport au réel.

Les réponses 6 et 8 semblent développer les mêmes aspects à deux niveaux différents. Dans l’une il s’agit de la trace laissée par le doigt (problématique de l’identité, transmise par le corps), dans l’autre c’est le blanc perceptif, qui, de façon illogique (F-), donne naissance à la tête (tête blanche, vide ?, fantomatique ?). Il nous semble cependant important de souligner que notre cotation F- à ces réponses découlent des critères de fréquence statistique (C. Beizmann). Aussi devons-nous prêter attention à la qualité du déterminant en considérant étroitement sa signification individuelle tributaire des thématiques. La succession « empreinte », « lampe », « tête » fait appel à la trace de l’absence dans ses aspects très primitifs. La « lampe allumée » manifeste une sensibilité certaine qui s’attache à la confrontation du vide (renversement figure/fond). La couleur jaillit, pour ainsi dire, de l’absence (de couleur et de forme). Elle rend compte du climat affectif bien particulier dans lequel les « trous » doivent être joliment et chaleureusement comblés dans un lien étroit à l’affect dépressif (élément sensoriel C’).

Même si une majorité de réponses nous confronte à une désorganisation formelle (faiblesse des capacités d’intégration du Moi) les conduites perceptives et projectives nous paraissent davantage liées à un vécu relationnel douloureux (en rapport à des carences narcissiques précoces) qui se traduirait par une grande vulnérabilité et immaturité, plus qu’une pathologie mentale.

Planche III

Le « papillon » revient toujours en première réponse organisant la planche (persévération). La même localisation (D3) est ensuite reprise dans une réponse à contenu anatomique qui prend en compte la couleur, le déterminant formel perdant de sa qualité (FC -, réponse 11).

La réponse 12 laisse émerger un envahissement du déterminant sensoriel qui n’est que dans un second temps délimité (« tâches rouges »), ce qui n’est pas sans rappeler la réponse 6 de la Planche II. La thématique soulève l’aspect hémorragique significatif de l’envahissement par l’affectivité. L’excès ou la pénurie de barrières comme indices de protection sont aussi envisagés dans la dixième réponse. La couleur est prise en compte dans une thématique intra-utérine ce qui pose la question des possibilités de distance par rapport au stimulus (membrane de protection, sentiment de complétude lié aux carences narcissiques précoces).

Le fusil comme contenu agressif est en résonance avec l’attribution phallique, toute-puissante de la planche ramenée au « choix paternel ». Le sujet l’exprime ainsi : « à cause du fusil et du foetus ». Les contextes maternel (maternité) et paternel s’emboîtent ici dans un jeu dont la signification nous paraît proche de la mère phallique (M. Klein) ou de l’imago des parents combinés dont le sujet est étroitement tributaire dans une position de soumission (passivité).

Planche IV

La planche aménage quatre réponses dont la tonalité émotionnelle est presque toujours dysphorique. La première réponse suscite un grand inconfort, avec une sensibilité clair-obscur qui témoigne d’une grande anxiété. En position de soumission, le sujet se sent attaqué dans une dynamique associative quasi paranoïde.

La seconde réponse a l’intérêt de reprendre le matériel dans une tentative de maîtrise de l’anxiété. Ici, c’est la couleur (C’) qui témoigne du sentiment d’insécurité. L’attention portée au C’ en relation au contenu (à valence agressive : « grand bec ») semble cependant proche de l’impression dysphorique. C’est néanmoins la représentation d’un animal évocateur d’une thématique morbide qui rend la représentation signifiante de la lourdeur envahissante et des difficultés à s’en dégager.

La réponse qui suit est encore dominée par une impression dysphorique qui suit cette fois la régression par l’estompage. Impliquée dans la perspective du « dinosaure », l’estompage prend sa valeur interprétative à partir de la sensibilité aux détails à valence destructrice : « grosse mâchoire, dents ». L’idée de la menace agressive (appréhendée dans le registre cannibalique) reste proche d’un contexte cauchemardesque.

La dernière réponse, donnée en Gbl (« blanc pour les yeux ») est à comprendre comme une dernière tentative de maîtrise de l’angoisse. Elle tient compte du blanc amené dans une signification orale persécutive. L’échec de la formalisation accuse la défaillance des capacités de contrôle, le manque de distanciation nécessaire.

Le contexte anxiogène est composé par des réponses à forte valeur persécutrice, infiltrées d’éléments agressifs dans un contexte paranoïde. Le sujet s’y soumet, en position passive, de part l’échec du freinage de la charge émotionnelle. On pourrait interpréter la succession des réponses comme sous le signe d’une compulsion à symboliser (R. Roussillon) dont le but est de tempérer la tension anxieuse. Ce qui ne manque pas de se solder (dernière réponse de la planche, F-) par un échec du contrôle des conduites perceptivo-projectives.

Planche V

La première réponse est de type banal. Si le matériel l’induit généralement, on ne manquera d’en rappeler ici les bénéfices : la maîtrise du stimulus et de la situation de test puisque la réponse est convoquée dans la quasi totalité de la passation (et toujours en première interprétation).

La réponse « oiseau » reste comparable, dans la thématique, à la réponse « foetus » (Planche III). De caractère moins régressif, elle suggère la position du collage (identification adhésive ?) impliquant la symétrie (relation gémellaire, amorce du double qui nient la situation de rupture, de déchirure où se greffe la confrontation à l’angoisse).

La dernière réponse témoigne d’un changement de stratégie radicale dans l’aménagement du stimulus. La grande découpe est préférée à la globalisation, la kinesthésie animal (quel qu’il soit) prévaut sur le contenu peu identifiable (« loup » ou « renard »). On peut envisager ici le déterminant constitutif de la dynamique pulsionnelle (kan) comme un détournement par l’agir et la motricité, de la confrontation à l’angoisse. D’autre part, le loup (voir choix planches paternelles) est centré sur une imago du père idéalisée dont l’exercice reste proche de l’identification narcissique. La confrontation à l’objet mort (le père de Christelle est mort deux ans avant son incarcération et elle a toujours pris soin de le décrire comme un personnage héroïque) et son introduction dans le Moi (fantasmes d’incorporation que N. Abraham et M. Torok ont décrit sous le terme de crypte) sembleraient se relier à travers l’impossibilité à exclure un contenu animal au profit de l’autre.

Planche VI

Les quatre réponses de la planche montrent un ancrage correct dans la réalité. La réponse 21, que l’on peut admettre comme une variante de la réponse « peau de bête » généralement observée (Ban), paraît accompagnée d’une tonalité humoristique qui s’inscrit dans un registre agressif (« peau de vache »). Le crabe, contenu à valence agressive (« avec les crochets »), reprend le thème de la réponse précédente davantage exploitable dans l’organisation défensive (les crochets comme instruments d’attaque, la carapace comme surface de protection). Dans le maniement des limites, la colonne vertébrale (perçue en transparence et dans l’axe médian) réactive une certaine friabilité des assises narcissiques. L’accent est ici porté sur la dilution de l’enveloppe (estompage de diffusion). La réponse « loup » s’accompagne d’un besoin d’étayage affectif : les appréciations de Christelle sur l’animal - chien de compagnie de son père (voir commentaires à propos du choix des planches paternelles) - semblent corroborer notre commentaire de la Planche V.

Planche VII

C’est dans un certain climat affectif que s’organisent les réponses de la planche. Une première réponse paraît très riche dans la symbolique sous-jacente : la colombe sollicite l’aspiration (idéale) à la paix, à la liberté. L’image nous renvoie directement dans la dynamique pulsionnelle, à la recherche de l’apaisement. Les traits semblent forcés (désorganisation formelle : F-) puisque le versant projectif devient dominant. La réponse suivante renvoie à la conduite alcoolique comme mode de traitement des qualités sensorielles. Il est question d’une relation d’emboîtement dont un élément est indissociable de l’autre pour que l’unité ait un sens : « black and white, comme sur les bouteilles ». L’analyse de l’ensemble témoigne de la perte du sens de la sensorialité primitive ainsi que de la nécessité que soient articulés excitations, éprouvés, représentations des éprouvés (ayant passé par l’objet : objet maternel, et/ou objet d’addiction).

La réponse 27 (« ange ») semble être une autre traduction de la « colombe », dans une dominante très positive. Cependant, nous ne pouvons nous empêcher d’impliquer l’imago paternelle idéalisée sous-tendant dans la réponse « ange » (- gardien ?). Dans cette optique, et comme nous l’avons déjà pointé, se profilent derrière l’imago idéalisée l’impossibilité d’en exclure la mort (et « l’amour » qui se joue dans des fantasmes d’incorporation) que l’on peut rapprocher de « la crypte » (N. Abraham et M. Torok) et du « complexe de la mère morte » tel que le conçoit A. Green (1983).

La dernière réponse de la planche évoque l’effilochement de l’enveloppe, sa dilution (« nuage ») en écho au besoin de limite interne/externe.

Planche VIII

Le contenu « papillon » est à nouveau récupéré (persévération) dans une dynamique qui, maintenant, au vue de son apparition récurrente, nous paraît concerner la compulsion de répétition (et compulsion à symboliser). La réponse suivante trahie les efforts et l’échec à formaliser le matériel, selon une dominance projective qui tient peu compte de la réalité externe.

La dernière réponse met en rapport contenant/contenu selon un renversement qui ne permet plus que soient identifiables « la mer » et « la terre ». Le jeu d’images, passant par les couleurs et le fond blanc du matériel, participe à l’écrasement du relief mettant au même niveau figue/fond, contenu/contenant. Le mode de traitement de la planche nous permet d’interroger le manque de stabilité du fond représentatif qui permettra par la suite que se délimite et se « décollent » les contenus représentatifs.

Planche IX

Si la sollicitation régressive de la planche est dominante, la situation ne permet pas que s’organise un équilibre dans les conduites perceptives et projectives. Les réponses 33 et 34 renvoient à des contenus agressifs (rongeurs, dents, cornes) qui peuvent être associés à des fantasmes de destruction renvoyés à l’imago maternelle. Si cette succession est davantage dominée par les aspects négatifs, nous avons affaire aussi à l’exigence idéale qui transparaît ainsi : « des beaux nuages tout roses ». Ici les aspects de la représentation présentent des qualités sensorielles positives. L’intensité des mécanismes d’idéalisation permet ainsi de recouvrir les attaques par ailleurs engagées. L’épreuve des choix (Planche IX choisie dans une sollicitation maternelle) nous conduit à l’hypothèse d’une envie primaire dans sa composante destructrice (M. Klein, 1957).

Planche X

Les couleurs sont prises en considération, intégrées à une bonne formalisation des percepts, bien que l’identification des « bestioles » soit évasive.

La seconde réponse, avec la persévération de la réponse « papillon », tente d’établir un lien à l’objet, coûte que coûte, en relation avec la situation de séparation (dernière réponse du test, dernière planche de passation). On constate que le blanc (« un papillon blanc ») est maintenu dans le contenu animal alors qu’il figure le fond perceptif. Dans ce contexte où fusionnent et s’inversent figure et fond s’accompagnant d’un envahissement du blanc, il nous paraît légitime d’évoquer ce que A. Green (1983) a conceptualisé sous le terme d’» angoisse blanche ». Il décrit, en deçà de la problématique de castration les menaces d’abandon, de perte du sein, produits de la destructivité : « Mais cette destructivité n’a rien à voir avec une mutilation sanglante. Elle a les couleurs du deuil : noir ou blanc. Noir comme les dépressions graves, blanc comme dans les états de vide auxquels on prête maintenant une attention justifiée. Je soutiendrai l’hypothèse que le noir sinistre de la dépression que nous pouvons légitimement rapporter à la haine qui se constate dans la psychanalyse des déprimés n’est qu’un produit secondaire, une conséquence plutôt qu’une cause, d’une angoisse blanche traduisant la perte subie au niveau du narcissisme » (p. 226). C. Chabert (1987) reprend la série blanche relative à la clinique du vide mettant en évidence les correspondances entre l’investissement du Dbl et l’apparition réitérée de C’. Ici la douleur liée à la perte d’objet est ressentie et organisée dans une position d’enfermement comparable une immobilisation du fantôme dans la crypte (N. Abraham et M. Torok).