B/ Analyse planche par planche

Planche I

La première réponse semble adaptée, avec l’appréhension globale de la planche, et la référence à un contenu banal. Cependant, de part la tonalité émotionnelle que nous fournissent les deux réponses successives, nous avons lieu de penser que l’accrochage à la norme recouvre les aspects dépressifs de la rencontre avec l’objet. La sollicitation émotionnelle dysphorique du cafard (réponse 2) est camouflée à l’enquête par, cette fois, la description d’un animal à carapace, le scarabée, par excellence. Les moyens de défense de l’animal restent restreints (« petites pinces »). A l’enquête nous notons la reprise des aspects dépressifs (C’ en relation avec la couleur que suscite la planche) en lien avec l’utilisation défensive du G amputé. Même si la troisième réponse est de bonne qualité formelle (F+), elle est le reflet de la difficulté psychique à élaborer et à maintenir différencié le dehors et le dedans. La « feuille rongée par des insectes » rend compte d’un dysfonctionnement dans l’aptitude du sujet à figurer un objet qui joue un rôle d’enveloppe, de membrane. C’est ainsi que nous notons, de part l’empiétement du monde extérieur (les auteurs s’accordent à décrire la planche I comme celle pouvant réactualiser et dégager le registre de la relation prégénitale à la mère) un mécanisme de retournement passif/actif : à l’enquête les fourmis qui n’apparaissaient pas à la passation deviennent les actrices de la scène, le découpage de la feuille étant relié à la pulsion orale. La remarque sur la symétrie, serait peut-être à entendre comme le surinvestissement défensif des limites.

Planche II

Nous remarquons le même mode d’approche qu’à la planche I avec une première réponse de façade, très adaptée (banalité), qui jette le voile sur la charge émotionnelle vivement ressentie dans le sens d’une excitation négative. La sensibilité affective du sujet est mise en branle de par l’apparition du rouge. L’impact projectif est envahissant et donne la mesure de l’impressionnabilité, de la perméabilité des limites du sujet (CF) qui à l’enquête ne peut se dégager. Ainsi l’interprétation du contenu (sang) est ressentie sous une forme traumatique en rapport avec la violence d’une scène dont Karim me confiera la fin funeste. La représentation de la toupie (objet perçu en position centrale, et d’après le fond de la planche) renvoie à une sorte de refuge comme pour échapper, en creux, à l’excitation précédemment subie. A ce titre, nous notons que le mouvement (kinesthésie d’objet) de la toupie est centrifuge, c’est-à-dire que l’objet possède en lui-même se source d’énergie. L’objet « toupie » reste mue par une force intérieure, non agie par une force externe. La représentation de l’objet en mouvement peut métaphoriser la problématique de l’effacement des traces traumatiques (rouge-subi) par la kinesthésie rotative (l’acte) qui efface. La dernière remarque sur la couleur rouge est à entendre comme une satisfaction narcissique due à l’aménagement d’un mode de contrôle face au malaise émotionnel vivement ressenti (réponse 5). Notons que la planche n’est pas appréhendée dans une dimension globale.

Planche III

La première réponse souffre d’une mauvaise qualité formelle. L’échec du contrôle est étroitement lié à une conduite de perméabilité, à une dépendance passive vis-à-vis du stimulus précédent. Notons l’importance du regard (yeux de fourmis, ou à l’enquête, de la mouche) que R. Kaës souligne comme un élément de l’appareil d’emprise. Les deux réponses suivantes montrent une reprise des mécanismes de défense : F+, Ban. Les productions offertes s’inscrivent dans un contexte anaclitique de recherche d’étayage par recours à un appui (« comme quand elles sont sur une branche »). Le sujet ne parvient à s’autoriser une création imaginaire originale.

Les quatre productions suivantes (réponse 10 à 13) marquent l’alternance de la libre circulation de l’affect et du mouvement de contrôle. Nous retrouvons l’animal à carapace, le cafard, dans sa valence dépressive (FC’). Il s’agit de la même localisation du stimulus (D1), perçu par retournement ( message URL FIG01.gif). Là où habituellement il semble convenu et fréquent d’attendre des contenus humains (G - D1), nous observons une régression salutaire au service du Moi : les charges affectives sont dominées face à une réalité extérieure trop envahissante où l’imaginaire en tant qu’aire de repos ne peut prendre place. Nous retrouvons dans le contenu des réponses (sang - anatomie) l’expression de l’excitabilité qui trahit la friabilité du pare-excitation. L’image humaine est d’emblée renvoyée à l’intérieur du corps. Le coeur (réponse 13), comme organe vital, porteur de la charge émotionnelle, est ensuite reproduit à l’identique : « plutôt deux coeurs... en le coupant en deux ».

Enfin, une dernière réponse anatomique peut-être envisagée comme le négatif d’une réponse à contenu humain : « Deux têtes de squelette ». La représentation demeure cependant parcellaire et vide de toute substance vitale.

En bref, les courants libidinaux et/ou agressifs ne sont pas autorisés à circuler avec un minimum de liberté. L’investissement de l’objet ne peut être conduit vers une identification stable. La régression s’opère dans le contexte de l’inanimé.

Planche IV

Le temps de latence est d’une minute (durée la plus longue du test). Nous pensons que ce temps est tributaire de la nécessité à maîtriser la charge émotionnelle ainsi mobilisée. C’est dans ce sens qu’une première intégration ne permet pas d’aborder le matériel de façon globale, mais de maîtriser la situation avec l’aménagement d’un détail animal (Ad) perçu dans une découpe supposée mieux contrôlée (D1). Le grand inconfort, voire le malaise, suscités par la planche sont évités, de par l’absence de référence aux règnes humain ou para-humain, les contenus des réponses exprimant le positionnement régressif du sujet (Ad - Bot.). Notons que la qualité de l’enveloppe primitive (réponse 16, appréhendée globalement) évoque le cadre imposant d’une relation duelle prégnante - une imago maternelle omnipotente - laissant en creux les traces de la séparation (« Une feuille rongée »). Le renversement systématique du matériel pourrait exprimer le recours défensif à l’acte comme tentative pour se dégager du vécu d’angoisse.

Planche V

La Planche V est classiquement considérée comme la planche de l’adaptation à la réalité. Ainsi les deux premières réponses (17 et 18) s’enchaînent rapidement suivant une dimension adaptative avec des références formelles de type banal. Cependant, la tonalité émotionnelle a priori neutre, camoufle une dimension plus profonde fournie à l’enquête par une succession de paradoxes dénonçant la fragilité des assises narcissiques. Tout d’abord l’image du papillon est référée à l’animal emblématique de la liberté, le sujet, lui, étant incarcéré. Il s’en dégage l’impossibilité d’accéder à un état idéal, laissant une blessure indélébile (il est question de tatouage). Le désir (ou plutôt le besoin) du tatouage peut s’entendre comme solution de substitution - nécessairement marquée par la désillusion (« mais son instant de vie est court ») - qui permettrait une inscription de surface à défaut d’une inscription interne vivante et efficace. Le passage par l’acte souligne le mode de passage du dehors vers le dedans (« j’en dessine beaucoup »). Dès lors l’identification masculine est mise en mal. Seule l’accès à une position féminine passive est envisageable (« mais c’est plus féminin »). Si la réponse 18 intègre la vie pulsionnelle du sujet (kinesthésie animale), elle recouvre aussi un sentiment d’inadaptation à la réalité objective (la chauve-souris a de petites pattes). Nous envisageons ainsi la structure d’un Moi rétréci, le sujet tendant en permanence vers une valorisation inaccessible.

Les deux réponses suivantes soulignent la dimension spéculaire de la relation (« deux signes face à face ») où là encore nous retrouvons l’axe conflictuel entre la réalité objective rejetée, et la représentation idéale, à laquelle le Moi ne peut se conformer. Tout se passe comme si le sujet demeurait écartelé entre ces deux positions intenables : « une petite tête comme moi, mais les signes sont blancs et roses ». En bref, les images de surface qui mettent en scène des représentations animales d’apparence adaptées renferment en profondeur l’absence du sentiment d’intégrité (conception de soi-unité du Moi) soumise au regard de l’autre. La dynamique et l’économie psychiques seraient proches du faux-self, décrit par Winnicott, comme mesure de protection du vrai-self. La visée narcissique n’étant justement pas d’établir une relation objectale objective.

Planche VI

Nous pouvons considérer les deux réponses de la planche comme une représentation unique scindée en un diptyque : d’un côté (à l’endroit, message URL FIG02.gif) nous avons une libellule qui traîne une feuille, de l’autre (en position inverse, message URL FIG01.gif) nous trouvons un animal travaillant en souterrain. L’intrication des réponses pourrait retranscrire les différentes voies d’accès « externe/dehors - interne/dedans) d’un même objet faisant « son chemin ». Nous retrouvons le même agencement des réponses qu’à la planche précédente, avec en premier lieu une représentation renvoyant à la surface et au visible, puis dans un second temps à l’évocation d’une profondeur, d’un en dessous. Le passage d’une réponse à l’autre s’accompagne, comme dans un jeu de miroir, de la manipulation du matériel.

La première proposition aboutit à la combinaison de deux éléments : un insecte de petite taille (D3) traînant une feuille proportionnellement beaucoup plus importante. Nous ne savons pas exactement sur quel mode l’objet « feuille » est investi : s’agit-il de nourriture, d’un abri... La consistance de l’objet demeure floue. La représentation se situe bien en deçà d’une problématique de castration. Le mouvement (kan) exprime la passivité (« traîne »).

Une deuxième réponse - planche inversée - traduit le jeu de cache-cache d’une bête non identifiable. Si l’on ne peut voir spontanément l’animal creuser son trou mais le résultat de son travail, la bête apparaît, à l’enquête, dans un mouvement de va et vient, de bas en haut. Nous sommes tentés d’associer le mouvement de repli et de protection recherchés de l’animal « au fond du trou » avec l’incarcération actuelle du sujet. La prison pourrait figurer ce « contenant momentané » protégeant le sujet des dangers du monde extérieur et du monde pulsionnel (« pour les mettre à l’abri des prédateurs »). Nous observons que si la bête n’est pas clairement définie, elle prend vie et forme (« elle va venir déposer ses oeufs ») au sein même de cette membrane contenante, dans une sorte de continuum non différencié bête-abri.

Nous voyons dans ces réponses l’expression de besoins primitifs qui reprennent les fondements de l’activité de pensée, telles les articulations nécessaires : présence/absence, contenant/contenu, dedans/dehors, actif/passif. Les déplacements de la bête de bas en haut et de haut en bas ne nous semblent pas directement chargés d’implications sexuelles phalliques. Ces mouvements hauts/bas pourraient métaphoriser les mouvements sinusoïdaux qui s’opèrent dans la relation à l’objet addictif.

Planche VII

Le caractère inachevé et désarticulé du stimulus est symbolisé en une première réponse globale, de bonne qualité formelle. Les continents décrits sont des terres chaudes, terres du sud : Afrique, Espagne, le Maroc étant le pays d’origine de Karim. A l’enquête, la recherche de points de collage entre les continents peut s’entendre à plusieurs niveaux, selon une double lecture : le désir de réintégrer la relation primaire à la mère, mais situe aussi la relation du sujet face à l’héritage transmis (ou ce qui n’a pu se transmettre) des générations antérieures. Le sujet se projette dans cet instable équilibre entre fusion et séparation. La séparation, comme garantie de l’identité propre, ne peut être assumée même si elle est sollicitée. (C’est bien souvent ce double mouvement de rapprochement/éloignement qui lie et délie le toxicomane à sa drogue).

Réponse 24 : la symétrie contribue à l’élaboration de la réponse. Il est probable que l’approche de l’estompage de diffusion (« l’oeil est trouble ») définisse une tension anxieuse face à ce qui est sous-entendu : un éléphant « avec une petite trompe ». Le jeu de mot, fondé sur une référence cinématographique, offre une restauration maladroite du petit appendice, alors énorme(ment). La texture de l’oeil « trouble », renferme, tel un miroir, les deux attitudes suivantes : 1) la manière dont le sujet se perçoit et aimerait être perçu ; 2) la manière dont le sujet reçoit la réalité et aimerait la percevoir. L’attrait du fond de la planche (le blanc) plonge le sujet dans un sentiment d’étrangeté (« elle est bizarre cette partie »). De ce blanc rien n’arrive à émerger : impossible de dire, de mettre en mots ou en sens la rencontre avec l’objet externe, rencontre avec ses propres objets internes. Seule la sensation demeure.

Planche VIII

La planche ne peut être perçue dans la globalité. La tonalité émotionnelle reste positive pour les trois premières réponses, par opposition à la dernière où la position de la planche est renversée. La variété des réponses rend compte du rôle privilégié de la couleur soumise à de grandes oscillations. Les réponses couleur s’enchaînent avec une alternance CF, FC. Les réponses CF (réponses 26 et 28) couvrent des réactions émotionnelles d’intensité très différente. Ainsi l’élément formel de la réponse 28 disparaît quasiment au fil de l’enquête. Notons que les couleurs rose et bleu qui attirent le regard sont dans la réalité objective celles emblématiques de la différence des sexes. Les trois premières réponses utilisent la couleur et l’estompage comme des éléments de surface : la neige ou les feuillages en tant que nuances de surface et de couverture, le caméléon contenant intrinsèquement l’idée du camouflage. A l’enquête « ils ont déteint sur la couleur rose » nous observons un renversement contenu/contenant (tel l’anneau de Moëbius). Ces trois réponses présentent le sujet toujours en rapport à un idéal.

La dernière réponse laisse émerger une réactivité massive où l’axe projectif n’est plus articulable à l’élément perceptif. L’angoisse d’abandon voire d’effondrement est aiguë. Le sujet ne parvient plus à participer à quelque échange ou communication. Tout est blessure, trace indélébile, plaie, trauma. La prison prend valeur d’une seconde peau (« je suis scellé entre deux parois »), et reste associée à l’intérieur du corps (« deux flaques de sang »). Tout semble se passer comme si la menace et sa résolution s’imbriquaient en un paradoxe insoluble : le sujet se voit au centre et au même moment rejeté. L’attente, qui laisse place à la passivité du sujet face à un idéal non atteint, prend la saveur, la forme et le goût d’une solution messianique. L’approche globale de cette planche nous permet de mettre en avant deux attitudes psychiques opposables et non conflictuelles telle que peut en rendre compte le clivage du Moi.

Planche IX

Le caractère sidératif de la planche est d’emblée ramené au choc des mélanges de couleurs. Le matériel peut être à nouveau repris à l’enquête. La position régressive vécue de manière négative renvoie toujours le mélange à une (auto-)destruction : la vue sinistre des animaux écrasés. L’émotion suscitée exprime une menace d’anéantissement, traduite par une cotation additionnelle en clob-F, l’élément inquiétant restant au premier plan. Les animaux écrasés peuvent figurer la structure psychique de nature hémorragique. Dès lors, la prison où la solution addictive pourraient correspondre à un espace de contention utilisé dans l’urgence, « bloquant » la faille narcissique, face au danger mortel.

Planche X

La planche apporte en premier lieu une réaction de soulagement avec une centration sur les couleurs (CF, réponse 29). Nous y retrouvons les deux teintes, bleu et rose, auxquelles le sujet semble attribuer des vertus euphorisantes « je flash sur le bleu et le rose ». La labilité dans l’expression affective se traduit plus en terme de sensations, d’éprouvés corporels, que d’intégration de l’élément formel. Ceci souligne la passivité du Moi à l’égard du stimulus externe.

Les réponses 30 et 31, de bonnes qualités formelles, s’organisent sur le fond d’un univers marin : « des îles », « deux éléphants de mer » ou « chevaux de mer ». Dans cette dernière proposition, nous pensons que glissement de règne animal (entre la passation et l’enquête) est en relation avec une conduite de réassurance, face à la situation de rupture induite par la Planche X : l’éléphant peut-être celui de la Planche VII, en lien avec la symbolique maternelle. La dernière planche du test sera pourtant rapprochée de l’univers paternel, comme support identificatoire. Nous ne pensons pas extrapoler en supposant que le sujet affronte la séparation en référence à la façon dont il a été investi à l’origine par le couple parental, ce que P. Aulagnier (1975) a modélisé sous le terme de « contrat narcissique ». Ainsi, le bleu et le rose, porteraient la trace des attentes et projections du couple parental envers l’infans qui devra assurer et assumer la permanence du modèle familial. La réponse 29 (« une palette de peinture » ... « je flash sur le bleu et le rose ») présuppose aux exigences de ce fonctionnement avec élection d’un idéal narcissique. Les réponses 32 et 34, de mauvaises qualités formelles, annoncent la perte d’appui du sujet qui ne peut trouver sa place, son identité propre. Tout se passe comme si le sujet ne pouvait se libérer de sa dépendance à ce premier référent. En deçà d’une position idéale venant le masquer, le vide (réponse 34) apparaît avec un accrochage au fond, au blanc (Ddbl). Le regard vide ou de surface (« masque ») véhicule la manière dont le sujet se sent seul, pris au piège, dans une relation entre deux locuteurs. La relation ne permet ni le repérage d’une problématique identificatoire encadrante, ni de mettre en avant une relation imaginaire rassurante cependant teintée mais vouée à l’échec (réponse 34 : « un être humain qui porte les deux hippocampes à bout de bras et le tout ça fait un masque Incas »). Le sujet ne parvient à remodeler, reconstruire la dispersion sollicitée, d’une manière acceptable et accessible par la réalité objective. L’émergence du processus primaire marque le déséquilibre des capacités d’intégration.