B/ Analyse planche par planche

Planche I

Le sujet réagit rapidement au stimulus (temps de latence : 3 secondes). D’un point de vue général, les trois premières productions offertes rendent compte d’une bonne aptitude à conserver le lien à la réalité (F+). Dans la dernière réponse, le besoin d’unité met en péril la délimitation de la forme (F-).

La réponse « papillon » (Ban) garde une signification d’attachement à la norme, à ce qui est le plus fréquemment attendu du sujet. En tant que première réponse (de plus, obtenue très rapidement) elle peut révéler l’expression défensive camouflant des mouvements émotionnels plus internes.

Une seconde représentation nous conduit au coeur même du sujet avec l’expression de la transparence (« la radio d’un bassin ») allant figer la possibilité de voir émerger un contenu humain (réponse anatomique). La formalisation est maintenue au détriment d’une composition qui ne fait plus appel à l’unité : le G se voit amputé.

Une « bestiole » apparaît, avec de nouveau une réponse globale qui reprend l’unité du stimulus. La charge émotionnelle et affective reste comme congédiée, avec un flou concernant l’identité de la bête, si ce n’est qu’elle appartient au règne animal. A l’enquête la domination du stimulus prend le chemin de la description du matériel centrée sur la symétrie « en fait, c’est la même image qui a été dédoublée ». Cette digression peut figurer la double attitude du sujet : celle qui vise à se dévoiler en faisant appel aux résistances. C. Chabert voit dans ce type de stratégie une manoeuvre défensive où il s’agit de nier le mouvement projectif par une conduite d’objectivation : « Il s’agit surtout de nier la différence par un surinvestissement de la symétrie comprise comme porte-parole du même. (...) Cette conduite consiste à souligner la dimension spéculaire de la relation pour en nier l’aspect conflictuel » 156.

L’enveloppe protectrice du scarabée (réponse 4) évoque la délimitation tenace entre le dedans et le dehors que le sujet vise à maintenir. Le besoin d’unité interne se fait ressentir dans l’utilisation « à tout prix » d’un G de mauvaise qualité (DG : G confabulé). La combinaison hâtive implique la perception de la partie indistincte du tout. Ce G traduit une attitude affective. Il est utilisé en tant que mécanisme de défense contre l’anxiété et vise à recouvrir soit une conduite de dépendance passive, soit les aspects d’insécurité de la relation prégénitale. Les « deux pointes ... deux pinces » du scarabée annoncent une mainmise sur l’objet qui à son tour empêche le sujet de se mouvoir.

Planche II

Le temps de latence important implique une charge émotionnelle massive déclenchée par le rouge. Les réponses traduisent une impossibilité d’intégrer globalement le stimulus (D). Là encore, nous retrouvons, dans la façon de solliciter le clinicien, le besoin de recours à un appui externe. Le passage par l’acte (maniement des planches) satisfait une tentative de maîtrise des excitations.

L’avion est perçu dans une découpe incluant le fond. Tout se passe comme si, face à l’excitation, le sujet trouvait refuge dans ce blanc, comme première enveloppe jouant un rôle de filtre. C’est dans le collage avec cet espace blanc, ressenti d’abord comme un vide, que le sujet va pouvoir établir et exprimer des pulsions agressives (kinesthésie d’objet, « avion de chasse »). Nous pensons que la représentation invoque la relation primitive d’étayage entre les pulsions sexuelles (« poussée des flammes derrière ») et les pulsions d’auto-conservation (le blanc comme empreinte du Moi primitif).

Une seconde réponse traduit le caractère irrépressible de la poussée pulsionnelle : « des missiles qui explosent » ... « quelque chose qui brûle » (kinesthésie explosive).

La problématique se situe en deçà de la castration. La situation très chargée (rouge) déclenche immédiatement un besoin de décharge de l’excitation tournée vers l’extérieur (« en touchant leur cible »). L’ensemble des réponses saisit globalement des fantasmes de destruction associés à des fantasmes de relation symbiotique.

Planche III

Les réponses n’intègrent pas de représentations humaines sexuées. Le sujet peut difficilement se situer dans une relation en lien à l’autre.

Une première réponse (« une bête monstrueuse ») témoigne de l’expérience « étrange » où l’individu se situe comme étranger à lui-même (« Alien »). Cette construction éveille nettement la notion de clivage du Moi : rappelons qu’Alien, créature extra-terrestre, utilise le corps de l’individu qu’il phagocyte à son insu. Ainsi, les limites internes, entre le sujet rendu captif et l’objet hôte, sont instables et permettent la co-existence des deux parties (sujet/objet incorporé). La mâchoire, les pinces, les bras du monstre sont autant d’éléments qui apparaissent liés à une relation d’emprise. Ils sont sous-tendus par une agressivité orale intense. Le but serait de contrôler l’objet auquel le Moi est assujetti. La réponse, seule interprétée en position inversée, rend compte de la défaillance du sujet à circonscrire l’objet en le délimitant (F-).

Nous retrouvons (réponse 8) une même tendance à l’inversion figure/fond, le blanc s’imposant d’emblée comme le facteur étayant, expression à travers laquelle la représentation pourra être échafaudée. Si le blanc traduit l’accrochage à l’enveloppe maternelle primitive (P. Roman), le contenu botanique dénote aussi la fragilité des frontières : une feuille peut prendre des formes très variées.

« Les poumons », organe d’échange entre l’environnement extérieur et l’intérieur, induit un retour à l’intérieur du corps, une centration sur l’éprouvé affectif (CF+).

La représentation de l’hippocampe contient une riche métaphore. Il s’agit tout d’abord d’un animal qui pourrait presque appartenir à deux règnes : celui du cheval et du poisson. Hervé, à l’enquête, souligne cette double appartenance « on dit aussi cheval de mer ». L’image peut renvoyer à la cohabitation de deux mondes au sein de l’espace interne telle que nous la décrivions pour la réponse 7. Nous pensons aussi que l’expression renvoie à l’impossibilité à se représenter soi-même en tant qu’individu indépendant. D’autre part l’hippocampe mâle possède une poche incubatrice : ne peut-on déceler une identification à la position passive/féminine ? Enfin, les critiques du matériel (« mais ici les contours ne sont pas bien faits ») ou encore le recours à une expérience valorisante (Hervé me raconte qu’il montait régulièrement à cheval) satisfont une réassurance narcissique en tentant de dominer le stimulus pour pallier au manque de production imaginaire.

Planche IV

La réception de la perception est mise à l’écart, avec un temps de latence de 45 secondes, et un renversement spontané du matériel. La chauve-souris, réponse généralement placée au rang des banalités, n’offre pas un support identificatoire stable : nous y découvrons l’anormalité de la tête qui s’étend à une représentation monstrueuse de l’animal (A). La rencontre avec l’objet repose sur la non reconnaissance d’une partie vécue comme étrangère au corps propre. La fusion, confusion, intègre les deux formes de vie pour aboutir à une image en « mutation » qui ouvre le champ de la préhistoire du sujet. Tout se passe comme si, à l’époque où les limites dedans/dehors n’étaient pas suffisamment intégrées dans la topique, une part de l’autre (étranger devenu plus tard l’étrange, l’inquiétant en soi) se trouvait « injectée » dans le Moi. L’impression de la couleur (C’) qui côtoie ici le clob peut traduire une sensibilité dépressive accusant le désir violent et retenu de se dégager de l’angoisse.

L’étayage par et dans le blanc à la réponse 12 peut s’interpréter comme une recherche de compensation permettant d’éviter l’intensité (affect) de la totalité du stimulus (petit détail - Dd). Le recours à une expérience (à l’enquête) a d’abord comme effet d’éviter la relation projective en essayant de maintenir une adaptation suffisante choisie dans la réalité extérieure : le souvenir d’un voyage en Corse. Rapidement la situation apparaît à l’enquête comme un espoir déçu : Hervé regrette d’avoir refusé cette opportunité, refus qu’il associe à des critères de dépendance : partir loin, il n’a pas son permis de conduire ... L’association des deux réponses permettent d’explorer dans quelle mesure le sujet n’arrive à faire sienne des expériences. L’analyse du contenu précise davantage le cadre d’une relation duelle investie par une imago maternelle dominatrice provoquant un vécu de malaise. Sous cette dépendance le sujet semble s’effacer (s’)empêchant l’investissement d’autres expériences utilisables dans le champ subjectif.

Planche V

Le sujet se prononce peu sur la symbolique de la planche généralement considérée comme faisant correspondre le sentiment d’intégrité, la représentation du soi unifié. La totalité du stimulus est intégrée dans une réponse globale (G) de tonalité émotionnelle neutre (Ban). Le recours à la réalité objective semble être une forme de soulagement. Le lien à la première planche (première réponse) est établi dans une volonté d’en traduire la distinction : « une autre espèce de papillon ». Cette remarque peut rendre compte de l’aptitude du sujet à vouloir différencier l’objet du contexte dans lequel il s’inscrit. Ici le papillon est « vu de dessus », comme si l’angle de prise de vue de l’objet, auquel nous devons le positionnement de l’objet, doit assurer la délimitation de l’objet. La production marque le caractère évident de mécanismes d’inhibition qui empêchent l’élaboration d’une créativité féconde.

Planche VI

De même qu’à la Planche IV, mais de manière plus accentuée, nous retrouvons une maîtrise tentée du stimulus (temps de latence d’une minute), associée à l’étrangeté de la situation.

Une première réponse englobe la totalité du stimulus avec une sensibilité aux nuances. L’estompage de perspective met l’accent sur la fragilité de la délimitation entre la pousse d’arbre (contenu) et la terre (contenant). Le recours à ce type d’estompage, comme le souligne C. Chabert, marque les insatisfactions narcissiques du sujet (en même temps qu’il y consent) et l’effort pour y remédier. L’analyse du contenu de la réponse met en scène une dynamique régressive qui permet la revalorisation du sujet en lui conférant une position plus active (« une pousse d’arbre qui sort de la terre »). L’expression oscille constamment entre les aspirations du sujet (idéal narcissique) et sa position effective. Ces mouvements signent le manque de régulation de l’estime de soi. D’autre part la problématique de la castration vient ici s’exprimer de façon passive (E) dans la figuration de « la petite pousse » qui ne « sort qu’un peu de la terre ».

Les poils de la peau d’animal (réponse 15) expriment et renforcent la position passive du sujet à l’égard des représentations sexuelles (castration). L’estompage, cette fois, de texture présente une réactivation des relations précoces en terme de toucher/être touché. La représentation souligne davantage une sensibilité sensorielle primitive en rapport avec les expériences de holding et de handling (D.-W. Winnicott). Ce type de relation utilisant le sens tactile n’est pas sans rappeler les travaux de D. Anzieu (1985) sur le Moi-peau. L’expression d’un G amputé met en avant des besoins fondamentaux carencés. La Planche VI est d’emblée choisie comme soutenant l’imago maternelle perçue dans une relation menaçante, effractrice, et dépouillant le sujet de ses appendices narcissiques.

Planche VII

L’association à des représentations humaines (en général) n’est pas permise. Les deux réponses (la seconde étant la reprise, à l’identique, de la première) convergent à un niveau primaire pour donner lieu, dans la compulsion de répétition, à une revendication pulsionnelle de l’ordre du besoin. C’est dans le blanc (« le flash nucléaire ») que se cristallise une charge affective importante mettant en scène une violence dévastatrice (kinesthésie explosive). Le sujet se sent comme aspiré, englouti, enfermé par le blanc qui vole en éclat sous l’impact des projections pulsionnelles. L’expression véhicule à mon sens la force de l’identification projective (projection des parties clivées à l’intérieur du corps de la mère) ainsi que le fantasme concomitant d’être persécuté. Le renversement et l’indistinction figure/fond trahissent l’abolition de la distinction sujet et objet alors confondus dans une intrication agressive destructrice. Le type de kinesthésie et la fragilité de la délimitation du contenu (Frag.) dénoncent une souffrance archaïque mettant en cause les investissements narcissiques vitaux. L’importance de la décharge lié au blanc implique la nécessité de l’investissement du fond psychique comme surface d’étayage de la représentation. Ce constat peut être repris comme un défaut de l’hallucinatoire négatif, au sens d’A. Green. D’autre part, ce blanc figuratif investi comme un cri de douleur insupportable pourrait conserver les traces et les modalités primitives de l’expérience de satisfaction que S. Freud (1900) décrit en terme de réalisation hallucinatoire du désir. Le « flash nucléaire » (le « flash » étant chez le toxicomane l’obtention de la satisfaction totale) pourrait condenser l’écran blanc des premières insatisfactions orales laissant un trou, un vide dans l’appareil psychique.

Planche VIII

Les deux premières réponses (« panthères, loups ») traduisent un mouvement projectif bien adapté (F+) conduit par une objectivation (Ban). Les contenus se présentent comme des stéréotypes, sinon des caricatures d’animaux indépendants et sauvages potentiellement violents. Nous retrouvons dans la qualité de ces productions la tendance à la répétition.

L’utilisation de la couleur et de l’estompage (réponses 20 et 21), met en place les aspects économiques du contrôle plus ou moins efficace des émotions et affects : réponse FE tout d’abord étayée sur la perception du blanc (Dbl), puis CF où le contrôle formel reste au second plan face à l’intensité émotionnelle recouvrant la globalité de la planche (G).

L’aller-retour dans l’expression de la vie affective caractérise la difficulté du sujet à participer à l’échange et à la communication dans une distance suffisante, stable et continue. En effet, la première expression (« une montagne avec de la glace ou de la neige ») renvoie à une attitude de froideur affective, de contrôle des émotions. Puis dans la réponse qui suit l’émergence de la couleur s’organise dans le sens de la chaleur affective. Ces deux contextes reposent sur le mode de relation primaire à l’objet dans un processus d’engagement et de dégagement de la source affective. Ces deux attitudes (de par l’accrochage au blanc et l’analyse des contenus : mer, terre, montagne, eau, ...) mettent en évidence les deux faces d’un même objet tantôt glacé (l’absence, le manque) tantôt excitant. La sensibilité du sujet traduit le surinvestissement de la sensation au détriment de dimensions plus objectales. L’appréciation du blanc peut témoigner du vécu relationnel douloureux lié à des carences narcissiques précoces.

Planche IX

Souvent considérée comme la planche la plus difficile de par sa sollicitation régressivante, la planche devient avec M. Monod, celle qui témoigne de la position du sujet tel qu’il se situe, seul face au monde.

Après un temps de latence long, temps qui traduit une conduite d’accommodation, la production s’établit sur le même modèle qu’à la Planche VII (compulsion à répéter). La kinesthésie explosive, si elle témoigne de l’orage (la rage) pulsionnel, définit une certaine confusion dans la délimitation des objets. L’analyse du contenu (fragment : objet de forme indéterminée) et le renversement perceptif (Gbl) sont autant de symboles surajoutés répondant à l’établissement impossible d’une barrière de protection sujet/objet. La prévalence du fond blanc (manque, vide, incomplétude) marque le paradoxe d’une situation où il y a contrainte à (ré)-investir l’expérience de douleur. Face au déplaisir, « l’irruption volcanique » peut s’entendre comme une tentative, dans l’urgence, de décharge de l’excitation dévastatrice (trauma) et endommageante. Le but pulsionnel remplirait ici les conditions d’une sauvegarde narcissique. L’axe projectif décrit le stade d’un principe de plaisir absolu où la réduction des tensions entre au service de la pulsion de mort et aboutit au zéro absolu. La relation à l’objet addictif s’inscrit dans cette mouvance : la recherche d’une jouissance narcissique passe par l’extase, le retrait à l’égard de l’objet et du monde extérieur. Le sentiment océanique (« la lave dessous la mer, de l’eau ») comprend l’accès au rétablissement d’un narcissisme illimité. La quête en serait l’état de béatitude absolue dérivée de la pulsion de mort.

Planche X

La planche, porteuse de la situation de rupture, sollicite une position régressive associée à des contenus archaïques (Géo, Frag.) desquels l’eau reste l’élément central tissant le canevas associatif :

Réponse 23 : l’eau joue un rôle de remplissage du vide en même temps qu’il participe comme élément de destruction : il intervient de façon surdéterminée dans le blanc (contenant) et dans l’analyse de la réponse (contenu) opérant ainsi un double renversement contenu/contenant, figure/fond.

Réponse 24 : la tentative de délimitation du contenu disparaît (C) au profit d’une réponse couleur qui correspond davantage à une localisation.

Réponse 25 : l’interprétation est une reprise quasi-identique de la réponse 23. Nous y retrouvons l’élément acqueux dans un lien paradoxal.

L’intensité de la tonalité affective (accrue par la position de dernière planche) liée à l’engagement massif de réponses couleurs nous conduit à évaluer sous différents angles les premiers modes de relation à l’objet.

Une première approche est de considérer la description de l’objet scindé en « bon » et « mauvais » comme une défense primitive contre l’angoisse. Le clivage de l’objet, sous-tendu par le mécanisme d’identification projective (dont nous avons déjà parlé), s’accompagne de l’idéalisation de l’objet. De toute évidence, l’eau symbolise cet investissement libidinal en tant qu’objet organisateur et salvateur. Les fantasmes de destruction et d’autodestruction naissent des défaillances d’introjection. C’est l’époque des états archaïques où l’imago de la mère idéalisée est encore fusionnée au soi.

Une seconde proposition, sans écarter la première, est de considérer les blessures spécifiques du lien à l’objet dans la sphère du narcissisme primaire. La menace d’annihilation, telle que la décrit D.-W. Winnicott, s’installe en réaction des empiétements successifs. Les fantasmes d’engloutissement illustrent l’intensité et la tonalité de la charge affective.

Notes
156.

Chabert C., La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach, Paris, Dunod, 1987, p. 98.