B/ Analyse planche par planche

Planche I

Les deux premières réponses présentent des références formelles de bonne qualité, ce qui implique un ancrage correct de la réalité. Les commentaires portant sur la symétrie (que nous n’avons pas côtés comme une réponse) englobent de manière surdéterminée la combinaison bilatérale sans pour autant permettre l’émergence d’une construction perceptivo-projective. Nous pensons que le maintient de la duplication exploitée dans un refus défensif du mouvement projectif permet d’éviter la confrontation à la différence et au conflit pulsionnel. C’est en effet, à cet endroit qu’apparaît à l’enquête la dévalorisation des percepts (« J’aime pas, c’est hideux ») qui chaque fois seront associés à une rencontre (avec l’objet) recelant une douleur insupportable. Le passage par l’acte où il s’agit de tuer l’objet ou/et de lui échapper s’impose et a pour effet une diminution de la tension psychique ressentie comme une atteinte narcissique à combattre. Ce que nous souhaitons souligner est l’extrême toute-puissance de l’objet, idéalisé positivement ou négativement et ne permettant pas l’élaboration d’un écart ou d’une distance suffisante. Ce manque de distance se traduit par une description immodérée des contenus alors beaucoup plus investis en terme d’apparence. C. Chabert prend en compte ces qualificatifs qui viennent embellir ou dévaloriser le percept « comme si les images ne pouvaient renvoyer à des existants en soi et devaient, pour être véritablement, être connotées, qualifiées par un jugement (le regard de l’autre) positif ou négatif » 157.

Les remarques concernant la symétrie, élément plus ressenti que traduit dans une représentation, sont habitées par les aspects spéculaires d’une relation soumise au paradoxe. Le lien à l’objet définit le contexte d’une rencontre où la violence est projetée dans et sur l’objet (« tuer le scarabée ») et en retour vient menacer le sujet (« si je trouve une chauve-souris je me sauve »). Nous pensons que le choix d’un animal à carapace tel le scarabée permet de contenir les mouvements agressifs dans une enveloppe exagérément solide. Le besoin excessif de contrôler l’objet se superpose ici à la notion d’identification projective ne permettant cependant pas de préserver le sujet des dangers. En effet, quelque soit l’objet, il est avant tout objet-persécuteur au sein duquel le sujet se trouve captif. « En plus les scarabées sont dans des endroits sordides » suggère un renversement contenant/contenus visant à brouiller les limites entre l’objet et son support, le soi et l’environnement. N’est-ce pas en partie ce qu’évoque l’organisation carcérale ? Enfin, le retournement du sadisme infligé à l’objet implique et une inversion des rôles (l’objet devient alors sadique) et un changement de l’activité à la passivité. Ce processus peut mettre en évidence l’agencement fantasmatique d’une souffrance alors recherchée que nous concevons comme l’expression du masochisme.

Planche II

Après un temps de latence très court, une seule interprétation est proposée dans le contexte de la banalité. Le besoin de maîtrise du stimulus domine au prix d’une abrasion fantasmatique. La pétrification des mouvements pulsionnels et affectifs est activement recherchée. A l’enquête la tonalité émotionnelle est vivement ressentie et sous-tendue par des mécanismes d’idéalisation. L’imaginaire n’est pas totalement congédié mais garde une signification défensive dans la mesure où l’objet pris comme investissement se déplace du papillon à l’araignée. Le déclenchement du processus associatif est ici le produit d’une stratégie visant le camouflage du prophète derrière lequel se dissimule le patient. L’animal érigé en porte-bonheur est évoqué dans le plaisir de la supercherie, face au monde malfaisant qu’est le réel. L’araignée qui tisse sa toile trahit la construction d’un objet leurre alors autorisé à circuler dans le champ visuel. En même temps l’image combine de manière paradoxale l’absence (du prophète dans la grotte) à la présence d’un animal qui sauvegarde le sujet d’un danger que nous pouvons entendre comme l’expression de la mort. Le brouillage du perceptif avec l’élection, au dehors, d’un objet leurre (camouflant et signifiant l’absence) n’est pas éloigné de l’expression du fétiche, objet brillant dans le champ visuel. S. Freud (1925, La négation) définira ainsi le déni portant sur la perception de l’absence de pénis chez la femme, ce que nous avons observé ici comme une ruse perceptive. La localisation de la réponse (D3) évoque généralement le sexe féminin. Si le fétiche renvoie au déni de la castration, il est avant tout le marqueur d’une déchirure qui s’est opérée dans la topique du sujet. C’est à ce titre que la planche soutiendra une imago paternelle « parce qu’il y a une déchirure dans sa vie, avec le rouge ». Notons que le toucher est vécu comme le meurtre de l’objet.

Planche III

Si a priori la construction des réponses articule des représentations humaines établissant des frontières stables entre le dedans et le dehors (F+), la mise en relation des personnages spécifie un type de fonctionnement où il s’agit là encore de nier la différence. Une première réponse satisfait les exigences narcissiques et consiste à souligner la dimension spéculaire de la relation. La réflexivité du regard est utilisée dans un rapport de « mêmeté » (P. Aulagnier) dont l’objectif est de tendre vers l’Un en évitant le danger de la séparation. L’affect (réponse 5) est d’emblée renvoyé à une relation de complétude : « ça veut dire qu’ils sont faits l’un pour l’autre ». Nous y découvrons une relation de couple où l’un est indissociable de l’autre, ce qui n’est pas éloigné du mythe platonicien de l’androgynie dont Freud se sert pour introduire la question du narcissisme. La puissance du sentiment amoureux décrit une force centripète dont le but est l’union des deux moitiés. La relation à l’alter égo-centrique est reformulée, répétée, dans une nouvelle représentation du double homosexuel. La description du corps des personnages fait germer des éprouvés de malaise (déséquilibre ?) qui sont exploités comme la manifestation d’une déception amoureuse. La confrontation à l’écart (« le bas du dos montre un éloignement de l’un vers l’autre et ça c’est pas normal ») comme figure de la désillusion (traduite en terme de déception amoureuse) est aussitôt balayée et projetée, dans un lien de causalité directe, à l’extérieur : « à cause des hommes ». Les représentations humaines qui apparaissent dans ces trois réponses témoignent du flou de la problématique identitaire, où le sujet, tel un caméléon, endosse tour à tour différentes peaux dans la seule perspective du retour à l’unité fusionnelle. L’altérité ne peut être appréhendée dans la mesure où elle est associée à une rupture brutale et dommageable. L’autre est comme phagocyté et se doit de remplir les conditions d’un « gentil miroir » protégeant des dangers de la perte. Là encore nous retrouvons, comme à la Planche II, la réactivation d’éprouvés corporels associés à la blessure de l’éloignement de l’objet.

Planche IV

L’image du monstre, comme symbole de puissance et de domination est évoquée par rapport à l’émergence d’un appendice viril important. Si l’intelligence de l’animal renvoie aux différentes pulsions agressives, l’image éveille le pouvoir propre d’une créature potentiellement malfaisante. Le terme de sadisme nous semble plus rigoureux dans la mesure où il s’agit de manipuler l’objet, la satisfaction étant liée à la maîtrise absolue de celui-ci. L’intrusion sadique de l’autre appartient aux modalités de l’identification projective décrite par M. Klein. Ce mécanisme recouvre le fantasme de contrôler le corps de la mère de l’intérieur, ce qui consiste en une projection fantasmatique des parties clivées dans l’objet pour le posséder. Les viols que Boris a commis peuvent, en partie, s’interpréter dans ce registre. La violence exercée sur l’objet répond au besoin de sauvegarder une image narcissique omnipotente (Moi-idéal). La domination de l’intérieur de l’objet traduit la nécessité de tester les capacités de contenance (voire de contention) de l’objet. Ce qui nous importe est de souligner à quel point ces mécanismes qui apparaissent très précocement dans la psyché du tout petit enfant voient le jour ici en lien à des éprouvés corporels (c’est aussi ce que nous avons observé aux Planches II et III) en référence à l’intérieur du corps. D’autre part, la signification de l’estompage de perspective (réponse 7) traduit l’importance des expériences sensorielles primaires. C. Chabert saisit la signification de ce déterminant qui signe le décalage entre les aspirations du sujet et sa position effective idéales158. La violence du mouvement sadique est donc directement lié à la recherche d’un étayage narcissique de substitution. C’est d’ailleurs sous cet angle que nous avons analysé, Planche III, le déplacement de l’image féminine comme substitut de l’imago maternelle englobant l’imago paternelle. Les représentations animales reprennent ce décalage, sous l’angle visuel, entre le visible et l’invisible. Le caméléon offre le prototype du camouflage. La représentation (réponse 8) est établie à partir de la tête de l’animal (G confabulé) qui fait obstacle à l’investissement de l’objet total : « si elle n’avait pas cette tête je vous dirais une bête monstrueuse qui fait peur ». La description entraîne la cotation d’une réponse additionnelle associant inévitablement des éprouvés d’insécurité et d’impuissance devant une menace plus au moins précise vécue comme agressive. « Ça me ressemble » présume l’identification au monstrueux (identification à l’agresseur) permettant, et le retournement de l’agression, et l’appropriation du symbole de puissance (« avec une grosse queue »). Les commentaires qui suivent à l’enquête dégagent la place et le rôle du clivage qui opère au sein d’un Moi coupé en « gentil » et « méchant » et ayant chacun leur propre destin. L’utilisation de la ruse revient au premier plan (Cf. Planche II) traduisant la soif de gratifications narcissiques associées au désir forcené de dénier tout lien de dépendance en affichant un mépris excessif pour l’objet. L’évocation de sensations corporelles fait germer une crainte d’anéantissement immédiatement reprise dans un contexte de toute-puissance (auto-destruction).

Planche V

La valorisation narcissique persiste mais apparaît dans le contexte dépressif (C’). La présence d’un F+ signale l’intégration de la réalité. La description « inattendue » (Cf. enquête) du beau papillon noir reflète le caractère paradoxal véhiculé par l’image. En effet, l’idéalisation tente de maintenir une représentation de soi parfaite et satisfaisante. Or cette image se fonde sur la conviction inconsciente d’une perturbation profonde, d’un défaut majeur quant au sentiment d’intégrité psychique et somatique. « L’inattendu » peut aussi s’entendre comme un soulagement dans la reconnaissance d’une réalité objective exempte des mouvements d’angoisses très prononcés à la Planche IV.

Planche VI

Le religieux semble être utilisé dans une mouvance narcissique visant l’idéal comme mesure de compensation et de reconnaissance des souffrances corporelles et psychiques subies. L’image sous-tend un imaginaire communément partageable soulevant la problématique de la trahison, du doute des origines et du sacrifice imposé par le père. Cette planche sera d’ailleurs choisie comme support paternel : « il n’a pas su me respecter ». Le jeu d’images renvoie fortement au complexe de castration (vécu dans la rage narcissique) en étroite relation avec la fonction interdictrice paternelle. C’est dans cette perspective que le recours à l’idéal (comme point d’émergence du Moi-idéal) joue un rôle de pansement narcissique tant psychique que somatique. L’image corporelle qui jalonne la représentation met en scène le rôle de contenance des enveloppes perceptives ici trouées, perméables et défaillantes. L’expression sacrificielle du martyr présente, en filigrane, la reconstitution des origines et de la causalité organisée autour du narcissisme.

Une seconde interprétation de la planche, cette fois appréhendée globalement engage un estompage de diffusion. L’indice traduit la friabilité des assises narcissiques et l’émergence d’expériences sensorielles primitives. L’accent est pointé sur la densité du stimulus. L’estompage pourrait ici jouer le rôle d’écran (flou) en brouillant la réactivation fantasmatique, et participerait aussi au mécanisme du refoulement qui vient finalement masquer l’affect.

Une dernière expression témoigne essentiellement d’une régression temporelle avec la réactivation du monde de l’enfance investit positivement. La construction rend compte de l’écart entre une position de toute-puissance infantile (« His majesty the baby » comme disait Freud) en décalage avec la position effective du sujet.

Planche VII

Une première association met en rapport le blanc (fond), d’emblée investi, auquel se surajoute des fragments du stimulus. Cette articulation aléatoire souligne l’importance des carences condensant l’expression du manque et les tentatives immédiates pour le compenser. Combler cette béance, dans l’urgence (le temps de latence est réduit à deux secondes), s’effectue au profit d’une discontinuité des liens. Le fonctionnement perceptif et adaptatif s’en trouve endommagé (F-). On ne s’étonnera pas que la dynamique régressive soit nourrie par un lien paradoxal où le monde externe ne peut être utilisé autrement que par agrippement à des repères caduques. L’image floue (réponse 14) met l’accent sur la dilution des enveloppes, la fragilité de l’identité avec cette fois une sensibilité à l’aspect sombre. L’anxiété diffuse est développée à l’enquête : « ils annoncent peut-être la pluie ? ». L’impression dysphorique témoigne d’une humeur dépressive dans la mesure où elle s’attache à une stimulation sensorielle FC’.

La centration (réponse 15) sur une « petite créature humaine » perçue et inspirée par l’axe de symétrie est balayée et remplacée à l’enquête (cotation d’une réponse addictionnelle) par une toute aussi petite créature (papillon) mais là dégagée du règne humain. Le blanc (Ddbl26) prend encore une signification pertinente puisqu’il consiste à souligner une tentative de rassemblement centripète explicitée à l’enquête « avec ses deux points d’attache là ». Nous pouvons supposer que ces changements brusques de repères peuvent traduire, comme nous l’avons vu précédemment, un clivage du Moi où il s’agit d’éviter l’étranger en soi dans la rencontre avec l’autre. Si l’expression du clivage reste une hypothèse, la représentation met principalement en cause l’investissement défensive visant l’exclusion, en même temps qu’il la suggère d’une thématique sexuelle (Ddbl26 reste souvent l’expression de réponses à caractère sexuel féminin).

La réponse 16 garde une valeur traumatique avec une formalisation s’attachant à l’élément sensoriel (E) et à une kinesthésie interprétative. Ce « cri de souffrance » nous fait basculer dans le registre de la dépersonnalisation, les éléments perceptifs faisant référence à des éprouvés corporels hallucinatoires d’où l’objet d’addiction vient pointer l’indicible souffrance du « manque ». Les deux bouches se font face dans un cri sans fin : le narcissisme largement défaillant devient synonyme de souffrance engageant avec acuité le registre archaïque de la relation.

Globalement, la planche réactualise des éprouvés d’insatisfaction et d’impuissance teintes de mouvements dépressifs. Ces traces sont vécues comme une atteinte dans la mesure où elles sous-tendent la domination du sujet, alors immature, à l’égard de l’objet. L’épreuve des choix reprend la précarité de la position du sujet soumis aux oscillations permanentes d’une imago maternelle intrusive : « Pour l’enfant (que je n’étais pas, serions-nous tentés de rajouter), j’étais toujours le bouc émissaire de la famille ». L’expression fantasmatique de la relation ne nous semble pas éloignée de la séduction narcissique dont nous parle P.-C. Racamier159.

Planche VIII

La planche fait germer la représentation d’un corps fragmenté et distordu rassemblé autour de l’axe médian. La « colonne verticale » tente d’édifier en sa position verticale, droite, le squelette humain en compensation d’un corps qui ne tient pas debout et qui demeure un véritable tissu troué. Les morceaux anatomiques se fondent sur des images de l’intérieur du corps, toute enveloppe limitante corporelle ayant disparue. « Il n’y a pas de tête » témoigne d’un degré d’humanisation moindre où transparaît la fragilité de l’identité (sexuée). « Et l’orifice ou les testicules » corrobore une sensibilité à la perte d’objet et à l’angoisse de castration qui est par essence insupportable. La représentation des testicules doit être envisagée comme un indice de puissance visant un accroissement de l’estime de soi permettant de combler la béance narcissique. Seul le monde interne dans sa consistance affective (FC) est considéré. Tout mouvement pulsionnel est éteint de part le risque qu’il suppose. La juxtaposition trou-testicule semble décrire un fantasme narcissique d’auto-engendrement qui exprime le besoin d’autonomie face au risque de la dépendance. La relation à l’autre, telle que nous l’observons dans la réponse 18, porte la marque du non désirable (« une bête hideuse »). A travers le regard de l’autre l’expérience de la reconnaissance est connotée de façon négative. Le jugement externe (dévalorisation du percept) à une valeur sentencieuse et anti-narcissique. La représentation ingrate du rat pourrait correspondre à des expériences primitives de désinvestissement. L’intensité du rejet fait coïncider l’investissement (négatif) de l’objet et l’auto-investissement. L’incertitude quant au contenu (« entre le rat et le ... ») contient implicitement la réflexion projetée de l’objet primaire.

D’un point de vue général si le traitement du stimulus comprend l’accès à une adaptation suffisante à la réalité extérieure, les réponses mettent à nu les failles considérables d’une enveloppe qui ne joue pas un rôle de surface limitante entre le dehors et le dedans. On s’aperçoit que les productions gardent leur valeur défensive en inhibant le surgissement des motions pulsionnelles. L’image du rat est exemplaire à cet égard. La contention de mouvements agressifs aboutit à l’évitement de leur expression au sein de la représentation. Si l’animal ne peut être porteur d’éléments pulsionnels, il est aussitôt pris comme objet réceptacle de la destructivité du sujet.

Planche IX

L’interprétation du matériel intègre essentiellement le facteur couleur qui témoigne de l’attention considérable portée d’une part, à la réalité perceptive, et d’autre part à l’aspect sensoriel de la stimulation externe. L’organisation des réponses met l’accent sur une hiérarchisation de l’affect qui prime sur le déterminant formel : C puis CF. Cette articulation suggère une sensibilité exacerbée qui met en balance les modalités de contrôle. Ici, le stimulus ne peut être tempéré par une prise de distance nécessaire. L’envahissement affectif est le signe de barrières trop perméables dans la limitation interne/externe. Les réponses « mer » et « feu » sont attribuées à des contenus à forte valeur régressive. Ainsi la mer et le feu se côtoient dans une dynamique associative allant dans le sens d’un réchauffement affectif. On constate cependant que « les boules de feu », si elles marquent la réceptivité et la perméabilité du sujet dans ses rapports à l’environnement externe, impliquent aussi la force pulsionnelle dans un contexte émotionnel explosif. Une dernière réponse renvoie directement à des fantasmes de grossesse et de naissance. L’image suggère la situation paradigmatique de la complétude qui recouvre le danger d’une séparation pouvant être vécue comme une blessure. Le sujet s’attache davantage au vécu de l’enfant en devenir : « il est à ses neufs mois » ce qui souligne le renversement opéré entre le contenu et le contenant de la représentation. A l’enquête, l’image se fige sur l’ombilic sauvegardant ainsi « la bulle protectrice » où s’anastomosent sujet et objet, contenant et contenu, figure et fond. Sur ce dernier point l’agencement des représentations, essentiellement structurées par la couleur présente un certain intérêt. En effet, l’aspect chromatique semble être exploité, dans un premier temps, selon un mouvement visant la délimitation figure/fond qui pourrait se traduire ainsi : du vert pour la mer, de l’orange pour le feu ... Les déterminants couleurs sont en d’autres termes l’instrument d’une délimitation plus au moins solide des représentations considérées. L’exploitation défensive du déterminant sensoriel permet de situer l’enveloppe des contenus en même temps qu’il participe, de façon paradoxale, à la déliquescence des frontières.

Planche X

Notons ici, à l’instar de la planche précédente que le déterminant sensoriel est utilisé dans une seule réponse FC (réponse 23), ce qui laisse supposer la trace de défenses conduisant au contrôle de la vie affective. Le rapport au réel est suffisamment maintenu. La contention des mouvements pulsionnels est à l’origine de productions pour ainsi dire « mise en tableau ». Les représentations témoignent cependant d’une menace non identifiable, non symbolisable d’emblée. Le scorpion, puis les deux marsiens se faisant face véhiculent la présence d’un danger externe et/ou interne. La part d’indécidabilité de l’angoisse est associée (réponse 25) à l’étrange en soi, pour soi. Le scorpion, animal à carapace, met en scène aussi bien des mouvements agressifs qu’auto-destructeurs. La diversité des images rendrait compte de la part énigmatique de l’autre en soi en des temps primitifs où sujet et objet fonctionnaient à l’unisson. La trace d’un tel mouvement centripète visant la réactivation de cette figure « Une » est précisée dans la dernière réponse du protocole : « un idole, une prosternation, quelque chose qui converge ». Nous nous permettons d’insister sur le fait que la représentation ne s’organise pas autour de mouvements pulsionnels. L’expression du mouvement (« qui converge ») est incontestablement lié à l’émergence hic et nunc de traces perceptives dont le poids semble imputable à la menace de la rupture suggérée par la Planche X. Notons que l’idole, comme construction idéale, permet la représentation de l’irreprésentable. Il traduit en image, en représentation-chose selon la conception topique, l’impensable de l’absence. Il est l’objet dans le réel, parce que manquant et non symbolisable dans le psychisme. Pourvu de toutes les qualités, il exalte des sentiments passionnés qui se caractérisent par la fusion entre l’objet perçu (réponse 26 « une prosternation ») et le sujet. Ce modèle de dépendance absolue ne nous semble pas éloigné de la construction du produit toxique. Dans la mesure où la planche réactualise certains traits de la sphère maternelle « parce qu’il y des couleurs » (cf. épreuve des choix) la quasi absence de réponses sensorielles (en lien avec la survivance de traces perceptives laissées en l’état) témoigne d’un vécu douloureux lié à des carences narcissiques précoces.

Notes
157.

Chabert C., La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach, Paris, Dunod, 1987, p. 105.

158.

Chabert C., Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique, Paris, Dunod, 1983, p. 210.

159.

Racamier P.-C., L’inceste et l’incestuel, Paris, Les éditions du Collège, 1995.