Introduction

Au yeux de nombreuses personnes, le toucher est une modalité accessoire qu’il n’est pas nécessaire de développer outre mesure. Or, comme il est important d’apprendre à voir (Portalier,1991), il est important d’apprendre à toucher. Toutefois, de part sa constitution anatomo-physiologique, le toucher ne bénéficie pas d’un organe spécifique, comme les yeux ou les oreilles pour la vision et l’audition. Il doit partager ses fonctions avec d’autres. L’organe du toucher est la peau. Or, la peau est répartie sur l’ensemble du corps. Ses fonctions principales sont la protection du corps et les échanges entre le corps et l’environnement. Cet état participe sans doute, à l’impression que le toucher est une modalité moins importante que la vue ou l’audition.

De plus, le toucher se décline sous deux axes, le toucher passif et le toucher actif. Si le dernier utilise les mêmes récepteurs que le premier, il n’en reste pas moins que les voies de traitement sont distinctes. Ainsi, Valenza, Ptak, Zimine, Badan, Lazeyras et Schnider (2001) ont montré que des patients cérébro-lésés, présentant une désorganisation de l’exploration haptique, avec impossibilité de mettre en œuvre des procédures exploratoires, parviennent à identifier des objets si quelqu’un dessine la forme directement sur leur peau. En revanche, ces mêmes sujets sont incapables d’identifier les formes grâce à leur exploration active. En effet, dans sa forme active, le toucher dépend de facteurs moteurs, impliquant les articulations et les muscles. De ce fait, la modalité haptique émerge du regroupement d’informations multiples (divers récepteurs cutanés (pression, chaleur, vibration,...), récepteurs musculaires et articulaires, ...) que le sujet devra analyser et confronter. Par ailleurs, l’acteur principal d’une exploration volontaire est la main. Mais la main est constituée de la paume et de cinq doigts mobiles. Ainsi, les informations peuvent provenir de six à douze lieux distincts, si les deux mains participent à l’exploration. A partir de ces nombreuses informations, le sujet devra construire une représentation unitaire de l’objet exploré. De plus, la taille des doigts n’autorise qu’une appréhension morcelée de l’objet. Ces caractéristiques rendent la modalité haptique très séquentielle. En revanche, elles permettent la mise en place de procédures exploratoires spécifiques, particulièrement intéressantes à étudier.

Toutes ces considérations nous ont amenés à nous interroger sur la possibilité d’apprendre à toucher et à explorer. Autrement dit, nous nous sommes demandés s’il est possible d’améliorer ses performances haptiques, et si les procédures exploratoires sont modifiées, dans le même temps. Nous nous intéresserons à cette question, dans une approche différentielle du statut visuel. En effet, les personnes aveugles, tardives et précoces, sont-elles comparables entre elles et se distinguent-elles des voyants, au regard de cette modalité ? L’exploration haptique de figures géométriques planes sera notre champ d’étude. Nous proposerons aux sujets une tâche de reconnaissance de figures en relief parmi des distracteurs.

Pour reprendre la démarche qui nous a conduit à cette recherche, nous développerons des éléments théoriques, avant de nous pencher sur notre expérimentation. Dans un premier temps, nous nous proposons de reprendre les fondements théoriques qui nous ont permis de construire et de développer notre problématique.

Nous débuterons notre approche, par un rappel des bases physiologiques, anatomiques et neurologiques du toucher (chapitre 1) qui débouchera sur l’étude du traitement perceptif des objets (chapitre 2). Ces données nous dirigerons sur deux axes. Le premier, nous conduira de la plasticité cérébrale, au modèle de la vicariance (Reuchlin, 1978), dans une analyse différentielle du statut visuel, en passant par l’étude des activités mentales (chapitre 3). Ces éléments nous permettront de comprendre les différents modes de raisonnement et de résolution de la tâche que les sujets peuvent mettre en place. Le second axe, nous amènera à l’étude des procédures exploratoires, avec le modèle de la sélection et de l’extraction de ces procédés (Klatzky et Lederman, 1993). Dans un cinquième chapitre, nous développerons notre problématique et le matériel expérimental. Le chapitre 6 étudiera l’évolution des performances, à l’issue d’un entraînement haptique, tandis que le chapitre 7 mettra l’accent sur la difficulté des items et son influence sur les performances. Le chapitre 8 sera consacré à l’étude des procédés exploratoires mis en place par les sujets pour résoudre la tâche. Ces trois chapitres seront développés autour de l’analyse différentielle du statut visuel (voyants, aveugles tardifs, aveugles précoces). Le chapitre 9 ouvrira notre recherche sur le rôle de la latéralité. Nous comparerons les performances de voyants droitiers, explorant avec la main droite avec celles d’autres voyants droitiers, explorant cette fois avec la main gauche. Enfin, nous résumerons nos principaux résultats et nous étudierons les différentes perspectives de recherches, inspirées par notre étude.