5- En résumé

Le cerveau serait donc doué d’une grande plasticité neuronale. Une illustration a été donnée précédemment et dont nous rappelons à présent les grands points.

Cependant, ce transfert intermodal au niveau des informations corticales n’implique pas une intermodalité entre modalités haptique et visuelle. Nous débattrons de cette question ultérieurement à propos des différences de performances dans les transferts vision-toucher.

Cette grande plasticité cérébrale nous interroge sur la structuration cognitive des aveugles précoces par rapport à celle des voyants ou même des aveugles tardifs. En effet, les aveugles de naissance et les aveugles précoces qui n’ont jamais ou quasiment jamais bénéficié d’informations visuelles, ont dû développer une structure cérébrale originale. Des recherches dans ce sens ont été proposées par De Volder (1997) et par De Volder, Bol, Blin, Robert, Arno, Grandin, Michel et Veraart (1997). En effet, ces auteurs ont observé une forte activation des aires pariéto-occipitales et du cortex visuel lors d’une tâche de détection de cible pour le premier et lors de stimulations auditives et tactiles pour les seconds. Ces aires corticales n’étant pas activées chez les voyants aveuglés et chez les aveugles tardifs, les aveugles précoces auraient donc utilisé la capacité de réorganisation corticale anatomo-fonctionnelle pour investir les aires dévolues à la modalité visuelle chez les sujets voyants.

Les mêmes résultats avaient déjà été mis en évidence pour le cortex visuel primaire par Sadato et al. (1996, 1998). Ces chercheurs ont également observé une baisse de l’activité cérébrale dans les cortex auditif et somatosensoriel, lors d’un test visuel. Ils interprètent ces résultats par une attention sélective. Cette attention serait associée à la diminution de l’activité de traitement des informations sensorielles issues d’autres modalités. C’est ce que nous avons vu précédemment avec le mécanisme d’inhibition latérale pré et post-synaptique. Le cortex visuel des aveugles n’étant pas investi de la tâche de traitement des informations visuelles, l’attention sélective ne commanderait pas l’inhibition de son activité.

Une autre preuve de la plasticité corticale provient du fait que les aveugles tardifs présenteraient la même activation du cortex visuel primaire que les aveugles précoces (Hamilton et Pascual-Leone, 1998). Ces sujets auraient donc, eux aussi, bénéficié d’une réorganisation corticale, mais dans une moindre mesure. Nous avons vu précédemment que le cortex pariéto-occipital des aveugles tardifs n’était pas activé dans des tâches de détection de cibles, de stimulations auditives ou tactiles, alors que celui des aveugles précoces l’était. Or, nous savons que les aveugles tardifs possèdent des représentations visuelles. Il est donc normal que le cortex occipital ne soit pas totalement libre comme il l’est pour les aveugles de naissance. Cette aire ne peut donc pas être investie dans son ensemble, mais peut autoriser une réorganisation partielle de son espace. Cela nous rappelle que De Beni et Cornoldi (1988) ont montré que les performances étaient dépendantes des capacités d’imagerie visuelle des sujets. Ainsi, les aveugles tardifs ont de meilleures performances que les aveugles de naissance. Cependant, cela ne signifie pas que les aveugles ne sont pas capables d’imagerie mentale, mais que cette capacité n’est pas relayée par la modalité visuelle chez les aveugles. Ainsi, Kerr (1983) a montré que le recours à l’imagerie était tout aussi bénéfique pour les aveugles que pour les voyants. Pour Vecchi, Monticelli et Cornoldi (1995), les processus passifs de la mémoire de travail visuospatiale, ne seraient pas affectés par la cécité, contrairement aux processus actifs. Les voyants, quant à eux, manquent d’expérience haptique, d’où l’idée d’entraîner des sujets, mais nous développerons ce point dans un prochain chapitre. Les données neurophysiologiques de cette plasticité cérébrale étayent également le concept de vicariance développé en psychologie différentielle par Reuchlin (1978). Là encore, ce point fera l’objet d’une prochaine discussion.

A ce stade de ces explications théoriques, il est temps de rappeler que le toucher se subdivise en deux catégories, le toucher passif ou cutané et le toucher actif qui nécessite des mouvements exploratoires volontaires. Or, à l’origine du mouvement se trouvent les muscles et les articulations. Nous avons dit précédemment que nombre de mécanorécepteurs comme les corpuscules de Vater-Pacini parsemaient ces zones (Tableau II). Ils ont pour tâche d’informer sur les états et les changements d’états successifs des muscles. Les informations sont de deux types, celles issues des faisceaux neuromusculaires (longueur et vitesse d’allongement des muscles), celles envoyées par les récepteurs tendineux de Golgi, concernant les forces dégagées lors de la contraction d’un muscle.

Les récepteurs sensoriels musculaires sont des récepteurs distaux, c’est-à-dire qu’ils informent sur la position des membres et du corps sans renseigner sur les sensations vécues par les muscles. Ils sont particulièrement présents dans les doigts, la main, la nuque et les muscles oculo-moteurs.

Le fuseau neuromusculaire se décompose en deux terminaisons :