4-1-1-4 Conception directe ou indirecte de la perception

Dans la conception directe, l’entrée de la perception visuelle est la modification des contrastes dans le réseau optique. La richesse du réseau ôte toute ambiguïté à l’information. De ce fait, cette dernière va pouvoir être intégrée directement au réseau (Gibson 1966), sans traitement préalable.

Dans la conception indirecte ou construite de la perception, l’entrée est l’image rétinienne. Les images doivent être analysées et regroupées avant d’être intégrées. La perception est donc un processus actif de construction. Or, toute construction est sujette à erreur. Cette approche cognitive explique ainsi toutes les illusions visuelles (Kanizsa, 1979). En revanche, elle n’explique pas la rapidité et l’efficacité de la perception visuelle alors que la conception directe, plus écologique rend compte de ce phénomène.

Les deux approches sont souvent opposées. Cependant, nous sommes plus favorables à la conception selon laquelle la perception est un compromis entre ces deux courants (Bruyer, 1994). En effet, ces deux processus ne sont pas forcément incompatibles. Selon la tâche et le contexte de perception, le sujet peut traiter l’information différemment (Thorpe, 1994). Nous retrouverons d’ailleurs cette dualité lors de la recherche haptique des informations de propriétés avec la déclinaison en deux processus (de haut en bas et de bas en haut) de la notion de diagnosticité (Klatzky et Lederman, 1987). Cette notion de diagnosticité répond à la question de la place du sujet et du stimulus, à savoir, l’opération perceptive dépend-elle des caractéristiques du stimulus ou bien des attentes du sujet, de ses inférences basées sur ses connaissances (rôle de la mémoire) et du contexte ?

Dans le premier cas, le traitement est de bas en haut et est conduit par les données, alors que dans le second cas, le traitement va de haut en bas et est dirigé par les concepts. La recherche d’informations sera donc différente, avec une recherche ouverte (globale) dans la première condition et une recherche ciblée (analytique) dans la deuxième situation. Le traitement analytique permet de reconstruire la forme, même quand l’objet est partiellement caché. Le traitement global permet d’élaborer des hypothèses à partir de la forme globale. Au niveau cortical, il semblerait que le traitement analytique soit plutôt dévolu à l’hémisphère gauche et le traitement global à l’hémisphère droit. Loin d’être incompatibles, ces deux notions sont complémentaires et vont se succéder dans le traitement. Les informations de l’un des traitements vont guider la recherche de l’autre. Cette double possibilité de traitement, nous intéressera particulièrement. En effet, du choix d’un processus de recherche de l’information, dépendra un choix de procédures exploratoires. Nous étudierons l’évolution de la recherche d’informations en fonction du statut visuel des sujets, de leur compréhension du problème soumis et du bénéfice d’un entraînement à la tâche. Nous reviendrons sur ce double traitement, à propos du modèle de la boucle sélection-extraction des procédés exploratoires (Klatzky et Lederman, 1993).

Bruceet Green (1990) suggèrent, en accord avec l’approche directe, la possibilité d’extraire des propriétés physiques sans inférences ni hypothèses (intégration directe de l’information pertinente du réseau) sans pour autant rejeter l’hypothèse d’un traitement de détection des propriétés. Ainsi, deux niveaux de traitement se succéderaient : un traitement précoce de détection de propriétés avec construction d’informations issues d’un traitement des stimuli et un second niveau de traitement où ces informations seraient intégrées directement au réseau. Cependant, selon le cadre théorique des auteurs, des modèles très différents sont nés. Nous nous proposons à présent d’étudier quelques modèles, issus d’une position théorique tranchée en faveur de l’une ou l’autre de ces conceptions, pour savoir quelles informations peuvent nous apporter ces modèles. Dans le cadre d’une approche directe, Gibson (1950) a développé son modèle autour du concept « d’affordance ». Dans une approche constructiviste, nous aborderons le modèle de Marr (1982) et le modèle de Biederman (1987).