6- Le traitement des informations

6-1 La prise de référentiel

D’autre part, l’étude des processus vicariants implique la prise en compte des informations issues de récepteurs propriocepteurs et extérocepteurs. Les informations issues du premier type de récepteurs dépendent de capteurs situés dans les muscles, les tendons et les articulations et de capteurs détectant les mouvements du corps (chapitre 1). Les secondes, en provenance des récepteurs extérocepteurs dépendent des propriétés physico-chimiques mesurables comme la lumière, le son, la chaleur,... (Bonnet, 1998). Quelle que soit l’origine de ces informations, elles peuvent renseigner soit sur l’extérieur (informations extéroceptives) soit sur l’intérieur (informations proprioceptives). Les informations sont donc traitées sous deux aspects : le type de récepteurs et le type d’informations véhiculées (Reuchlin, 1990). En fonction de la sélection des informations, les sujets vont avoir des représentations différentes d’une même situation. Ainsi la prise de référentiel (Ohlmann, 1990) aura une incidence sur le choix des procédés d’exploration mis en place, et ce, indépendamment du statut visuel. Le sujet peut choisir d’être informé soit :

  • sur sa position dans l’espace par rapport à des invariants spatiaux, c’est-à-dire par rapport à des repères fixes dans l’environnement.
  • soit sur sa posture et les modifications de sa posture, autrement dit de sa position et des mouvements de son corps aux travers d’informations internes.

Pour cela trois référentiels de base sont à sa disposition :

  • le référentiel gravitaire qui correspond à la verticale
  • le référentiel égocentré qui correspond à l’axe tête-tronc-pieds
  • le référentiel visuel

Ces référentiels sont substituables les uns aux autres (Ohlmann, 1990). Le choix des sujets va donc s’effectuer en fonction de la situation mais aussi en fonction de leurs préférences. Or, choisir un référentiel, c’est également sélectionner des registres de stratégies différents pour résoudre une tâche. Ainsi, dans une situation haptique de comparaison de longueurs, une personne qui aura une stratégie de comptage de la distance (correspondant à un type de stratégie métrique) (Appelle, 1980), sera une personne ayant opté pour un référentiel égocentré, alors qu’une personne qui aura sélectionné un référentiel exocentré comparera les figures en prenant un écart de base fixe entre son pouce et son index par exemple. Dans le premier cas, les récepteurs impliqués seront d’ordre proprioceptif (capteurs articulaires et de détection de mouvements,...). Dans le second cas, ils seront d’ordre extéroceptif (pression,...). Cependant, dans les deux situations, les informations porteront sur des éléments concernant l’extérieur (informations extéroceptives).

Au niveau du système haptique, Lederman, Klatzky et Barber (1985) expriment également cette dichotomie dans le codage des informations spatiales. Ces auteurs définissent un mode de codage extrinsèque basé sur un cadre de référence cartésien et un mode de codage intrinsèque basé sur le mouvement d’exploration du système épaule-main. Nous retrouvons donc là encore la distinction entre un codage nécessitant l’activation de capteurs propriocepteurs (muscles, articulations, tendons,...) et un codage impliquant des capteurs extérocepteurs, codant des propriétés physico-chimiques mesurables. Le choix de ces modes de codage dépend à la fois de la propriété spatiale à traiter et des conditions expérimentales (Gentaz, 2000).

D’autres conséquences sont liées à ce choix de référentiel et notamment le phénomène d’anisotropie ou d’effet de l’oblique. Gentaz (1997) explique en partie cet effet en situation tactile par des indices gravitaires. Il a montré que la diminution de l’amplitude des indices gravitaires permet de réduire l’effet de l’oblique.

Ainsi, le domaine de la perception spatiale est particulièrement bien adapté à l’étude des processus vicariants (Ohlmann, 1990). D’autant plus qu’au choix d’un référentiel de base, s’ajoute la possibilité de recodages fonctionnels (visuels, proprioceptifs, auditifs) : des informations temporelles pourraient ainsi bénéficier d’un recodage dans la modalité auditive ; et les informations spatiales, d’un recodage visuel. C’est un point central du transfert intersensoriel (Hatwell, 1986). Or, pour les aveugles de naissance, qui par définition n’ont pas d’expérience visuelle, un recodage des informations spatiales dans la modalité visuelle semble difficile. Ceci se traduit dans la littérature par le constat des faibles performances des aveugles de naissance dans les tâches spatiales. Cependant, ce recodage visuel des informations spatiales n’interviendrait pas pour des tâches simples (Friedes, 1974, 1975).

De plus, des illusions habituellement dévolues au système visuel s’observent également chez des aveugles de naissance (Carpenter et Eisenberg, 1978). L’hypothèse d’un double recodage pourrait expliquer ce phénomène, c’est-à-dire que les informations subiraient un premier recodage proprioceptif avant d’être recodées visuellement (Paillard, 1971, 1974, 1987). Mais d’autres recodages peuvent avoir lieu selon la situation. Ces recodages successifs concourent à la diversité des informations finales et donc à des différences interindividuelles (Ohlmann, 1990), mais également à des différences intergroupes puisque les aveugles de naissance ne recoderont pas les informations de la même manière que les aveugles tardifs ou les voyants (Bertallanfy, 1980). Ceci aboutira à un registre de stratégies différent avec une hiérarchie d’évocabilité différente en fonction du statut visuel.