6-3 La notion de trace

Ainsi, nous avons vu que le modèle par médiation visuelle est difficilement validable. Cependant, comment expliquer les différences de performances entre des sujets de statut visuel différent ? Si nous nous plaçons dans le cadre d’une appréhension directe, le rôle de l’expérience visuelle ne devrait pas être significatif. Or, l’influence existe. Heller (1989) montre que les aveugles tardifs identifient mieux des dessins d’objets que les voyants aveuglés et Lederman, Klatzky et al. (1990), ont mis en évidence une nette infériorité des aveugles congénitaux. Nous pouvons trouver un élément de réponse dans Ninio (1996). Pour cet auteur, nous posséderions en mémoire des traces très sommaires réparties au sein des différentes modalités. Chaque trace porterait des indications capables d’activer dans les autres modalités les traces qui lui sont associées, autrement dit les traces issues du codage d’une propriété du même objet mais par une modalité différente. Ninio parle « d’empreinte d’empreinte » pour définir « ce fragment particulier dans un module (qui) est associé de manière floue à tout un ensemble de fragments dans l’autre modalité » (Ninio, 1996). Cette « empreinte d’empreinte » qualifie l’infime partie de l’information en mémoire capable d’activer des informations codées dans d’autres modalités, alors même que le codage est spécifique à la modalité. Les aveugles congénitaux, n’ayant par définition aucune expérience visuelle ne peuvent pas activer les traces associées à la modalité déficiente (figure 7). De ce fait, ils se trouveraient dans une impasse. En effet, le dessin est une représentation typiquement visuelle, qui a évolué au fil du temps en fonction de codes bien précis. Selon les cultures et les époques, les représentations ont obéi à des règles différentes. L’exemple le plus prégnant est peut-être celui de la perspective (Ninio 1996, Encyclopédie Alpha ).