2-1 Les procédures exploratoires

Historiquement, de nombreux auteurs ont défini des styles d’exploration. Tout d’abord Heller (cité dans Revesz, 1950) a distingué deux grandes fonctions du toucher :

  • la fonction synthétique : qui correspond à une recherche de la forme globale. L’ensemble de la main est impliquée.
  • la fonction analytique : qui correspond à la recherche de la forme précise de l’objet. Elle nécessite la mise en place de mouvements de la main.

Ces deux fonctions se retrouvent dans la distinction établie par Lederman et Klatzky (1987) sous le paramètre « mouvement » (statique versus dynamique). Cette première distinction est fondamentale. Elle permet de comprendre comment le sujet met en place des mouvements exploratoires spécifiques et adaptés à la recherche d’informations en fonction de ses attentes et de ses hypothèses.

Zinchenko et Lomov (1960) parlent eux de trois fonctions :

  • la fonction constructive
  • la fonction de mesure
  • la fonction de vérification et de correction

La première fonction correspond à la détection du contour. Elle engage dans un premier temps, l’activation des récepteurs neurophysiologiques et les processus de traitement de l’information. La seconde fonction utilise la main comme mesure des distances. La dernière permet au sujet de comprendre comment il utilise sa main et modifie ses mouvements exploratoires pour construire une représentation stable de la forme explorée. Nous voyons ici que les fonctions mettent en évidence des étapes de traitement plutôt que des paramètres de mouvements. La dernière fonction relève plus des activités mentales et de la résolution de problème, avec construction d’inférences, que de la description des procédures exploratoires. Cependant, parallèlement à ces fonctions, Zinchenko et Lomov (1960) ont décrit des déviations de mouvements. Par déviation, il faut comprendre que les sujets n’explorent pas un objet de façon continue et uniforme. Les mouvements sont interrompus par des pauses et des régressions en fonction du contour (forme, angle,...). Ces déviations de mouvements se révélent différemment selon la forme du contour, pour autant, le mouvement ne suit pas exactement la forme exacte. Ainsi, l’implication des doigts ne sera pas la même selon le type d’objet touché : l’index et le majeur, pour des surfaces planes ; l’index, le majeur, le pouce, voire les autres doigts et la paume pour des objets plus complexes ou en trois dimensions (Lomov, 1966). Un lien entre les informations recherchées et le type de procédés exploratoires commence à apparaître. Mais ces procédures exploratoires sont encore très générales et mal définies.

D’autres auteurs, comme Hippus (cité dans Revesz, 1950), ont défini des catégories de mouvements plus précis avec une exploration :

  • par glissement : impliquant des mouvements « aller-retour » de la main
  • par grands gestes : avec un ou plusieurs doigts sur la surface de l’objet, dans le but d’obtenir des informations de contour, d’angles ou de relations géométriques entre les parties.
  • par agrippement : ce toucher reprend les deux premiers en ajoutant une participation du pouce. L’objectif étant d’extraire des informations de texture sur plusieurs surfaces simultanément.
  • par mouvement d’agrippement : pour une exploration détaillée de la forme.

De même, Davidson (1972) définit cinq types d’analyses des angles de courbures :

  • par agrippement : avec le déplacement par aller-retour de trois ou quatre doigts (mais pas le pouce) sur l’angle.
  • par pincement : à l’agrippement décrit précédemment est adjoint le pouce ce qui permet à la main de former une pince grâce à l’opposabilité du pouce aux autres doigts.
  • par grands gestes : avec le bout des doigts (balayage)
  • par recouvrement : les doigts sont répartis sur la totalité de l’angle de courbure.
  • par traçage

Un peu plus tard, Davidson, Abbott et Gershenfeld (1974) établiront une nouvelle classification, plus large qui s’intéressera plus au type d’information recherchée qu’à la description des procédures d’exploration. Ainsi, ce n’est plus la position des doigts ou de la main qui est étudiée mais leur participation à une recherche particulière. Davidson, Abbott et Gershenfeld (1974) ont relevé :

  • une recherche globale d’information : les doigts sont utilisés indépendamment les uns des autres, afin d’explorer simultanément des aspects différents de l’objet.
  • une recherche détaillée : les doigts sont coordonnés pour analyser un seul aspect de l’objet.
  • une recherche par la paume : la paume agit par pression sur le stimulus.
  • par traçage : les doigts sont déplacés sur le contour.

Enfin, nous pourrions également citer les travaux d’Appelle (Appelle et Goodnow, 1970 ; Appelle, Gravetter et Davidson, 1980), qui ont permis l’émergence de procédés métriques pour l’estimation des longueurs. Ce procédé se décline sous deux formes selon le mode de référence :

  • soit le sujet se réfère à des indices internes, le sujet compte par exemple le temps nécessaire pour relier deux points ;
  • soit le sujet se réfère à des indices externes, et dans ce cas, les doigts ou la main sont utilisés comme des règles.

Des parallèles et des regroupements peuvent être établis entre toutes ces approches. Toutes les descriptions ou presque parlent d’un mouvement par « traçage ». Nous pourrions rapprocher cette procédure de celle de « suivi de contour » déterminée par Klatzky et Lederman (1987) où le sujet suit littéralement le contour de l’objet pour extraire des informations telles que la forme précise. Le « balayage » (ou grands gestes) décrit à la fois par Hippus et par Davidson est une procédure permettant l’obtention d’informations générales sur l’objet (forme globale, relations géométriques entre les parties,...) en ce sens, il se rapproche de la procédure « d’enveloppement » avec en plus une notion de déplacement absente chez Klatzky et Lederman (1987). Le recouvrement de Davidson pourrait également être associé à cet enveloppement sous sa forme statique. Nous verrons, dans la suite de notre travail, que pour compenser l’action de refermer les doigts sur l’objet, possible sur les objets mais pas sur des surfaces planes, nous réintégrerons une dynamique de mouvement dans cette procédure d’enveloppement. Toutes ces tentatives de descriptions successives ont eu comme objectif de comprendre comment un sujet recherche de l’information, à partir de ses mouvements et parallèlement, comment ces procédures exploratoires permettent d’extraire de l’information. L’émergence de ce double questionnement trouvera son aboutissement dans la notion de diagnosticité, avec les processus de haut en bas et de bas en haut. De plus, nous retrouvons également une situation de résolution de problème. Le sujet met en lien ses mouvements et postures avec les informations obtenues, puis modifier ses actions pour agir sur le type d’informations recherchées (vérification du principe de cause à effet) et enfin mettre volontairement en place des procédures exploratoires pour rechercher des informations précises. Les travaux les plus aboutis sont sans doute ceux de Klatzky et Lederman. Ces auteurs définissent des critères très précis pour distinguer les procédures exploratoires et ont effectué maintes expériences pour comprendre les procédures.