3-1 Compatibilité des procédures exploratoires

Cette notion de compatibilité des procédures exploratoires désigne la mesure dans laquelle deux procédures exploratoires ou plus, peuvent être exécutées en même temps sans perdre de l’information. Plusieurs critères sont pris en considération pour juger de la compatibilité des procédures exploratoires. La première contrainte que nous pouvons citer est la contrainte motrice. Il faut bien évidemment que les gestes engagés dans les deux procédures exploratoires soient physiquement possibles. Ainsi, il est possible de réaliser un mouvement latéral accompagné d’une pression, alors qu’une procédure test engageant la mobilité d’une partie ne pourra pas se réaliser conjointement avec un suivi de contour. Soulignons toutefois, que si deux procédures peuvent volontairement être exécutées simultanément comme nous l’avons vu pour le mouvement latéral et la pression, il est également possible qu’une procédure exploratoire entraîne l’exécution d’une autre procédure. Par exemple, la mise en place d’une procédure d’enveloppement va induire une procédure de contact statique. En revanche, le contact statique n’entraîne pas nécessairement l’enveloppement. Toutefois, la contrainte motrice n’est pas suffisante pour expliquer le phénomène de compatibilité des procédures.

La compatibilité des procédures exploratoires est essentiellement basée sur le respect des valeurs de paramètres des procédures. Rappelons que ces paramètres sont :

  • la direction de la force (normale versus tangentielle)
  • la région de l’objet touché (surface, angles, surfaces & angles)
  • le mouvement (dynamique versus statique)
  • la contrainte de l’espace de travail.

Deux procédures sont considérées comme compatibles, si elles ont la même valeur pour au moins trois des quatre paramètres. L’enveloppement se distingue du contact statique seulement sur le paramètre de région (surface pour le CS, surface & angles pour l’E), les deux procédures sont donc jugées compatibles.

Toutefois, un certain nombre de règles viennent assouplir le degré de compatibilité. Ces règles sont au nombre de cinq :

  • Si deux procédures ont la même valeur sur le paramètre de la Direction de force, alors la valeur statique du paramètre de mouvement sera satisfaite par la valeur dynamique. Exemple : le contact statique (statique) et la pression (dynamique) sont compatibles.
  • Si deux procédures ont la même valeur sur le paramètre Direction de force, alors pour le paramètre Région, les valeurs surface ou angles seront satisfaites par la valeur surface & angles. Exemple : ainsi le contact statique (surface) est compatible avec l’enveloppement (surface & angles).
  • Si deux paramètres ont la même valeur sur le paramètre de la Direction de force, alors pour le paramètre Région, la valeur surface sera satisfaite par la valeur angle. Exemple : le mouvement latéral (surface) est compatible avec le suivi de contour (angles).
  • Une valeur oui sur le paramètre de la Contrainte de l’espace de travail satisfait une valeur non sur ce même paramètre. Exemple : l’enveloppement (non) est compatible avec le soulèvement (oui).
  • Si deux procédés ont une valeur surface sur le paramètre de Région, alors les valeurs tangentielle et normale du paramètre Direction de force seront satisfaites. Exemple : le mouvement latéral (surface - tangentielle) et la pression (surface - normale) sont compatibles.

Le respect de ces règles et contraintes permet d’obtenir le tableau de compatibilité suivant :

Tableau VIII : Relation de compatibilité entre les procédures exploratoires d’après Klatzky et Lederman (1993).
  Pression Mouvement latéral Enveloppement Suivi de contour Soulèvement
Contact statique + - + - +
Pression + + - +
Mouvement latéral - + -
Enveloppement - +
Suivi de contour -
+ = procédures compatibles ; - = procédures incompatibles.

Si deux procédures ne sont pas compatibles, le sujet devra effectuer les procédures les unes après les autres. Or, cette succession de procédures entraîne une augmentation du temps d’exploration avec l’extraction d’une seule propriété à chaque exploration. C’est le principe de repli sur une propriété (Lederman et Klatzky, 1993). Le sujet aura donc plus de difficulté à construire une représentation unifiée de l’objet, du fait de son approche séquentielle de l’objet, et ce, par rapport à une exploration permettant l’exécution de procédures compatibles, avec l’extraction de plusieurs propriétés simultanément et dans des délais courts. Une critique que nous pouvons formuler à l’égard des travaux de Klatzky et Lederman est l’absence d’études sur la succession des procédures. En effet, les auteurs ont bien observé la compatibilité des procédures exploratoires mais à notre connaissance, elles ne se sont jamais intéressées à l’enchaînement de ces procédures. Est-ce qu’une procédure exploratoire a plus de chance de provoquer l’apparition d’une autre procédure ? Et quelle est la probabilité d’une procédure d’entraîner une autre procédure en parallèle ? Nous ne parlons pas ici de la possibilité d’exécution simultanée de procédures, mais de leur complémentarité et de leur utilisation conjointe ou successive pour résoudre une tâche. Il serait par exemple intéressant de savoir dans quelle mesure un suivi de contour va induire un enveloppement et inversement. Outre le problème de la compatibilité des procédures, se pose le problème de la spécialisation des procédures. Le but de l’exploration est de rassembler le plus d’informations possibles, sur le plus grand nombre de propriétés et dans le délai le plus court (Klatzky et Lederman, 1993). Cependant, selon les connaissances du sujet sur l’objet (ce qui a été dit à propos de l’objet où des hypothèses du sujet) les attentes du sujet seront différentes. Nous avons déjà évoqué ce point :

  • soit le sujet recherche des informations précises pour tester ces hypothèses
  • soit le sujet n’a aucune hypothèse sur l’objet à priori et il recherche une information globale.

Dans ces deux conditions, le sujet met en place des procédures exploratoires différentes :

  • des procédures spécialisées (procédures optimales) dans le cadre d’une recherche précise,
  • des procédures générales comme l’Enveloppement qui est une des procédures ayant l’étendue la plus large, tout en étant réalisable dans un délai acceptable ; ou un ensemble de procédures spécialisées.
    • Si les procédures spécialisées sont compatibles, l’exploration sera rapide.
    • Si les procédures spécialisées sont incompatibles : le temps d’exploration sera long et le sujet se retrouvera dans la situation décrite précédemment, c’est-à-dire face à la difficulté de construire une représentation unifiée de l’objet.

Klatzky et Lederman (1993) n’ont pas intégré ces considérations dans leur boucle sélection-extraction des procédures exploratoires. L’approche de Russier (2000) nous semble intéressante, dans la mesure où elle propose au cours de sa thèse une boucle révisée, incluant ces observations (figure 12). De plus, elle ajoute une possibilité de vérification de la décision grâce à un retour à l’objet, avec la mise en place de nouvelles explorations.

Ainsi, dès la sélection des procédures en fonction du contexte, le sujet a deux solutions :

  • rechercher une information globale
  • rechercher une information spécifique

Si le sujet opte pour la première solution, il peut en cours d’exploration et donc, au fur et à mesure de l’avancée de ses hypothèses (début de résolution de problème), affiner son exploration et rechercher une information spécifique. Rappelons que ce mode d’exploration est qualifié de routine « grasp-and-lift » (empoigner et piquer). Le sujet explorant débute son exploration par une analyse grossière de l’objet (analyse globale) avant de procéder à une analyse détaillée (analyse locale) (Lederman et Klatzky, 1987, 1990). Toutefois, si la recherche locale ne satisfait pas le sujet, ce dernier a la possibilité de revenir à une recherche globale. De même, lors de la construction de la représentation d’objet, si des éléments sont manquants, le sujet peut revenir soit à une recherche spécifique, soit à une recherche générale

avec l’extraction simultanée de plusieurs types d’informations.

Pour résumer, nous pourrions dire que la diagnosticité des procédures exploratoires autrement dit la « hiérarchie d’évocabilité » des processus (Reuchlin, 1978) pour une tâche donnée, est déterminée selon :

  • le processus de diagnosticité choisi (de haut en bas ou de bas en haut). Ce dernier dépend :
    • du contexte :
      • tâche et consigne
      • objet (3D, 2D,...)
      • ....
  • du sujet :
    • de ses connaissances
    • de ses hypothèses
    • de ses capacités (motrices, perceptives,...,ex : handicaps ou expériences)
    • ...
  • des procédures exploratoires
    • du type de propriétés extraites (diagnosticité des procédures exploratoires)
    • compatibilité
  • des renseignements obtenus en cours d’exploration et susceptibles de modifier le type de processus de diagnosticité choisi.
Figure 12 : Boucle d’extraction-sélection des EP (procédures exploratoires), révisée d’après Russier (2000).
Figure 12 : Boucle d’extraction-sélection des EP (procédures exploratoires), révisée d’après Russier (2000).