Chapitre 5 : conclusion, objectifs et materiel experimentaux.

Conclusion et objectifs expérimentaux

Tout au long des différents chapitres que nous avons développés, nous avons abordé la complexité de la modalité haptique et ses implications dans les différents champs de la psychologie et de la cognition. En effet, une tâche, nécessite d’une part un traitement perceptif des informations cutanées mais aussi des informations kinesthésiques et proprioceptives. De plus, comme pour n’importe quelle tâche, le sujet est placé devant un problème qu’il doit résoudre. Il lui faut donc trouver des solutions. Pour cela, il doit produire des inférences et modifier son comportement en fonction des résultats obtenus. Or, selon les sujets l’adaptation à la tâche sera plus ou moins aisée. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. C’est le domaine de la variabilité individuelle. Mais des facteurs extérieurs peuvent également influencer le mode de résolution des sujets. Ainsi, un déficit peut venir perturber le traitement des sujets. Le modèle de la vicariance (Reuchlin, 1978) explique parfaitement ce phénomène. Selon la situation, les sujets peuvent choisir entre plusieurs processus pour résoudre la tâche. La hiérarchie d’évocabilité de ces procédés sera différente d’un sujet à l’autre et d’une tâche à l’autre. Appliqué aux systèmes déficitaires, ce modèle permet de comprendre les différences interindividuelles. Ainsi, un sujet aveugle ne pourra pas résoudre une tâche par l’intermédiaire d’un processus impliquant une perception visuelle. Il devra opter pour un processus vicariant, qui ne sera pas nécessairement moins performant, mais qui utilisera d’autres voies de traitement. Mais là encore, il nous faut distinguer les aveugles en fonction de leur expérience visuelle. En effet, un aveugle tardif pourra parfaitement recourir à ses représentations visuelles pour résoudre la tâche contrairement à un aveugle précoce. Le but de notre recherche est d’étudier les différences entre les sujets en fonction de leur statut visuel et leur adaptation différentielle à la tâche. Nous observerons par conséquent l’adaptation des sujets avant et à l’issue d’un entraînement haptique.

La rencontre avec des situations haptiques offre au sujet un espace dans lequel il peut construire et tester des inférences (Richard J.F., 1998). Sur la base de ces dernières et de leurs conséquences, le sujet peut établir une liste des stratégies les plus performantes selon la tâche, en suivant le principe de la hiérarchie d’évocabilité (Reuchlin, 1978). Si cet espace n’est pas proposé aux sujets, nous postulons que celui-ci ne pourra pas s’adapter spontanément à la situation et ne pourra donc pas améliorer ses performances. Cependant, le choix de la stratégie est tout de même influencé par l’expérience des sujets, et en particulier, par l’expérience visuelle. En effet, la structuration cognitive des sujets est modelée par la présence des expériences sensorielles antérieures (Portalier, 1996). Le raisonnement des sujets garde une trace de ces expériences, même si la plasticité cérébrale permet aux aveugles d’activer des zones corticales habituellement dévolues au traitement visuel, à d’autres tâches (De Volder, et al., 1997). La recherche et le traitement des informations sont modifiés par ces expériences. Nous postulons que les voyants et les aveugles tardifs partagent un mode de raisonnement commun, en raison de leur expérience visuelle commune. A l’inverse, les aveugles précoces se distinguent des précédents par des modes de raisonnement basés sur des références non visuelles, alors que le mode de raisonnement des sujets avec expérience visuelle induit des références visuelles. Les différences devront donc être observables quelle que soit la difficulté de la tâche. En effet, si le mode de raisonnement est lié à la structuration cognitive des sujets, alors il sera présent dans toutes les situations, et il dévoilera une partie de l’organisation cognitive des sujets.

L’adaptation des sujets passera nécessairement par l’étude de leurs performances mais elle impliquera également l’étude des stratégies d’exploration. En effet, Klatzky et Lederman (1987) ont montré l’importance des procédures exploratoires dans les études sur la perception haptique. Cette étude des performances, en fonction du statut visuel et des procédés d’exploration, nous conduira à envisager une autre différence de base entre les sujets, celle de l’expérience haptique. En effet, les personnes aveugles sont plus expérimentées que les voyants en matière de modalité haptique, en raison de leur déficit. La vicariance entre à nouveau en jeu dans cette observation. La modalité visuelle étant indisponible, les sujets doivent recourir aux autres modalités pour compenser leur handicap. L’expérience visuelle devrait donc jouer un rôle dans la recherche d’informations.

De plus, les sujets peuvent recourir soit à un processus de recherche de l’information descendant soit à un processus de recherche de l’information ascendant. C’est-à-dire que les sujets vont soit rechercher de l’information précise au cours de leur exploration, ce qui signifie qu’ils ont construit des inférences sur ce qu’ils vont toucher, soit rechercher le plus possible d’informations pour construire une représentation mentale de l’objet exploré. L’expérience haptique permet-elle de sélectionner plus rapidement le mode de traitement le plus adapté à la tâche ? Si oui, l’acquisition d’une expérience devrait permettre aux sujets de construire et de tester des inférences sur ce qu’ils explorent et donc de sélectionner des stratégies pertinentes pour la résolution de la tâche grâce à une phase d’entraînement haptique ?

D’autre part, cet apprentissage permettra t-il aux sujets de s’adapter à une tâche semblable mais avec des stimuli différents ? Le passage des rectangles aux hexagones sera t-il négocié aisément par nos sujets ? De plus, est-ce que la position de la cible, autrement dit, la proximité de la cible par rapport au modèle, aura une incidence sur la réussite des sujets ? En effet, la difficulté pourrait être plus importante pour des cibles éloignées du modèle que pour des cibles proches en raison d’une surcharge mnésique due à l’exploration des figures séparant le modèle de la cible.

Par ailleurs, les études sur les transferts intermodaux ont mis en évidence une spécialisation des modalités et une impossibilité de transfert des informations d’une modalité à l’autre. Seule une petite partie invariante de la perception peut enclencher une activation des représentations d’une autre modalité (Stréri, 2000, Ninio, 1996). Par conséquent, le modèle par médiation visuelle proposé par Klatzky et Lederman (1987) n’est pas validé. Les auteurs ont alors proposé un autre modèle par appréhension haptique directe (Klatzky et Lederman, 1987). Cependant, la perception visuelle est beaucoup plus globale que la modalité haptique. Par conséquent, les sujets avec une perception visuelle ne vont-ils pas essayer de retrouver cette unité perceptive rapide, avec les informations issues d’une exploration haptique ? Le mode de référence de ces sujets est essentiellement visuel, de ce fait, ne vont-ils pas chercher à traduire les informations haptiques en images visuelles parallèlement à un traitement direct des informations haptiques ? Ainsi, même si cette traduction n’est pas possible, ne pouvons nous pas envisager qu’elle soit malgré tout tentée ?