1-2-4 Discussion générale

Les résultats montrent donc une différence significative entre les groupes. Les voyants diffèrent des aveugles précoces aussi bien sur le nombre de bonnes réponses que sur les amplitudes d’erreurs. La différence est moins nette pour la comparaison avec le groupe d’aveugles tardifs. En effet, si la différence est bien présente pour le nombre de bonnes réponses, seule une tendance est observée pour les amplitudes d’erreurs. Les performances des voyants semblent donc plus se rapprocher de celles des aveugles tardifs que de celles des aveugles précoces. Toutefois, les différences entre les aveugles précoces et les aveugles tardifs ne sont pas significatives.

D’autre part, l’analyse descriptive des résultats met en évidence une augmentation de la variabilité interindividuelle des voyants et une stabilité voire une diminution pour les groupes d’aveugles. Ceci est contraire à nos hypothèses pour les aveugles tardifs. Nous avons déjà discuté de cette variabilité lors de la comparaison entre les groupes de voyants avec ou sans entraînement haptique. Nous avions alors remarqué que le groupe auditif avait une variabilité plus importante à l’épreuve 2 qu’à l’épreuve 1. Nous avons interprété cette augmentation comme une aptitude différente d’adaptation spontanée à la tâche. La variabilité interindividuelle a également été observée pour le groupe haptique, mais cette différence s’est particulièrement révélée pour le groupe auditif puisqu’il n’a pas bénéficié d’un espace de réflexion et de test comme le groupe haptique. Pour les aveugles tardifs, nous pensions observer ce phénomène, or ce n’est pas le cas. En revanche, nous pouvons remarquer que leurs performances sont élevées par rapport aux voyants. De plus, l’interaction groupes x épreuves n’est pas significative. Ainsi, les performances des aveugles n’ont peut-être pas évolué de façon significative entre les épreuves. Nous nous proposons donc de regarder les contrastes de ces interactions, même si elles ne sont pas significatives, pour observer les groupes un par un.

Pour le nombre de bonnes réponses (F(2,21)=1,51, p=.244), les aveugles tardifs n’ont pas réellement amélioré leurs performances (p=.107), seule une légère tendance se dessine. Pour les aveugles précoces, la tendance est un peu plus nette (p=.069), et la différence est très significative pour les voyants (p.0008). Pour les amplitudes d’erreurs (F(2,21)=.84, p=.444), nous relevons une absence de différence aussi bien pour les aveugles tardifs (p=.216) que pour les aveugles précoces (p=.124) et bien sûr une différence très significative pour les voyants (p=.007). Ainsi, pour les aveugles, l’amélioration des performances est plus nette pour le nombre de bonnes réponses que pour les amplitudes d’erreurs. Ceci laisse supposer que les sujets font moins d’erreurs mais pas nécessairement avec moins d’amplitude. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement avec l’analyse du type d’erreurs.

Au vu des résultats et de l’absence d’amélioration des performances, nous pouvons peut-être interpréter la diminution de la variabilité interindividuelle des aveugles tardifs, par un effet de l’entraînement. Nous nous attendions à ce que la variabilité interindividuelle du groupe auditif n’évolue pas, or cette évolution est présente. A l’inverse, nous pensions que le groupe des aveugles tardifs allait présenter cette augmentation de la variabilité interindividuelle, ce qui n’est pas le cas. L’entraînement est sans doute à l’origine de ces observations. En effet, les séances d’entraînement ont donné la possibilité aux sujets de tester leurs inférences sur le critère de différenciation, ce qui équivaut à la recherche de la règle de classification dans le cadre d’un apprentissage discriminatif. De ce fait, des sujets qui ont eu plus de difficultés à résoudre la tâche, ont eu du temps et un espace de réflexion qui leur ont permis de trouver des solutions et donc d’atténuer l’écart avec des personnes qui ont trouvé spontanément et rapidement le critère de sélection des figures et les procédés pour extraire la propriété pertinente.

Cependant, si cette explication est valide, nous devrions également obtenir une diminution de la variabilité pour les voyants avec entraînement haptique. Or, ce n’est pas le cas. Comment interpréter ce résultat ? Nous avons comparé les groupes de voyants et d’aveugles en terme de statut visuel mais nous avons oublié en effectuant cette distinction, une autre distinction fondamentale qui est celle de l’expérience haptique. Les aveugles tardifs sont certes des sujets souffrant de cécité, mais ils n’en sont pas moins des sujets avec une expérience haptique. Leurs performances ne se distinguent d’ailleurs pas de celles des aveugles précoces qui pourtant n’ont pas d’expérience visuelle. Or, la variabilité des aveugles précoces a, elle aussi, diminuée. Cette diminution est peut-être à attribuer aux performances élevées des aveugles. Ils ont peut-être atteint un seuil au-delà duquel il est difficile d’améliorer les performances de façon significative du moins pour les sujets qui se sont spontanément adaptés à la tâche. Pour ces sujets déjà très performants, l’entraînement n’a pas eu un intérêt très important. L’amélioration n’a pu passer que par les sujets qui ont eu des difficultés dès le départ. L’entraînement leur a donc permis d’améliorer leurs performances et d’égaler ainsi les performances des autres. Pour le groupe des voyants avec entraînement haptique, les sujets dès le départ étaient pénalisés par une inexpérience haptique. Par conséquent, les sujets qui ont trouvé rapidement le critère de différenciation des figures ont tout de même dû « s’initier » à la situation haptique, d’où des performances relativement faibles par rapport aux aveugles. Lors des séances d’entraînement, ces sujets ont pu se familiariser avec la situation haptique et améliorer leurs performances lors de l’épreuve 2. Les sujets qui n’ont pas trouvé le critère de différenciation des figures rapidement, ont dû non seulement se familiariser avec la tâche, mais en plus trouver le critère de sélection. De ce fait, la variabilité interindividuelle est plus grande pour les voyants que pour les aveugles qui dans tous les cas, ont au moins bénéficié de leur expérience haptique.