1-2-6 Discussion sur les temps d’exploration

Les voyants diffèrent des aveugles précoces mais pas des aveugles tardifs au niveau du temps d’exploration. Or, ces deux groupes n’ont de point commun ni sur le statut visuel ni sur le statut haptique. En revanche, les temps d’exploration des aveugles tardifs ne sont significativement différents ni des voyants ni des aveugles précoces. Or, les aveugles tardifs partagent un point commun avec chacun des groupes. Ils se rapprochent des voyants sur le plan de l’expérience visuelle et ils rejoignent les aveugles précoces pour l’expérience haptique.

Cependant, l’analyse descriptive des résultats montre que les aveugles tardifs sont plus proches des voyants que des aveugles précoces et que l’écart semble même se creuser à l’épreuve 2 (figure 21). Les temps d’exploration des aveugles précoces semblent diminuer entre les épreuves. Or, la variabilité interindividuelle diminue également entre les épreuves pour ce groupe. Cette diminution du temps d’exploration résulte sans doute de la diminution de la variabilité interindividuelle.

A l’inverse, la variabilité interindividuelle des aveugles tardifs augmente, ce qui explique peut-être là encore, la forme ascendante de la droite des temps d’exploration entre les épreuves pour ce groupe.

La variabilité interindividuelle des voyants est, quant à elle, relativement stable et basse en comparaison des autres groupes. Or, si nous revenons au niveau d’expérience des sujets, nous pouvons constater que les personnes qui ont le plus d’expérience haptique sont aussi celles qui sont soumises à la plus grande variabilité interindividuelle. Les voyants ont amélioré de façon très significative leurs performances, cependant un entraînement haptique sur quatre séances ne compense pas une utilisation quotidienne. De ce fait, leurs procédures exploratoires ne peuvent pas égaler celles des aveugles au niveau de la précision. Ils ne peuvent pas non plus devenir experts dans le choix et la combinaison de ces procédés dans un délai aussi bref. L’analyse des procédures exploratoires nous permettra de mieux appréhender ce phénomène. Mais ceci ne permet pas d’interpréter la plus grande variabilité des sujets avec expérience visuelle.

Une explication est peut-être à chercher du côté de la vicariance. En effet, nous avons vu qu’avec un déficit égal, deux personnes pouvaient être plus ou moins handicapées dans une situation précise. En effet, les sujets développent des processus vicariants qui peuvent être très différents d’un sujet à l’autre. De ce fait, certaines personnes développent des processus vicariants sur la base d’une modalité différente. Il est donc probable que toutes les personnes n’ont pas la même dextérité dans une tâche haptique. De ce fait, les temps d’exploration varieront en fonction de leur aisance face à la tâche. Cette aisance est à distinguer du choix des procédés haptiques. Deux personnes peuvent utiliser le même procédé mais avec une réussite et une vitesse différente. Nous avons vu que les performances sont élevées chez les aveugles. La préférence des sujets ne peut donc se révéler qu’au niveau de la vitesse d’exécution des procédés.

Cette analyse met deux phénomènes en évidence. D’une part, tous les sujets aveugles ne sont pas aussi à l’aise les uns que les autres, face à une tâche haptique. Même si leurs performances restent excellentes, le temps d’exploration révèle une grande variabilité dans l’exécution des procédés. Nous verrons lors de l’analyse des procédés si cette variabilité dépend du choix des procédés ou bien de leur durée d’exécution. D’autre part, cette étude nous apporte un élément en faveur de notre hypothèse sur la tentative de traduction des informations haptiques en informations visuelles, en montrant des temps d’exploration plus longs pour les groupes ayant ou ayant eu une expérience visuelle. Toutefois, cette hypothèse nécessitera d’autres analyses complémentaires pour être validée. Nous la rediscuterons ultérieurement.