2-6-2-1 Discussion

Les résultats mettent en évidence plusieurs points. Tout d’abord, les voyants sont les seuls à utiliser moins de procédés à l’épreuve 2 qu’à l’épreuve 1. De plus, ils se différencient des aveugles précoces comme des aveugles tardifs sur plusieurs procédés, alors que les aveugles ne divergent pas. Les voyants restent fidèles aux procédés SC et M2, malgré la nette diminution de ces procédés à l’épreuve 2. Les aveugles précoces se tournent plus vers le procédé M3 et les aveugles tardifs vers le procédé M1 que les voyants. Ces différences ne sont pas contradictoires avec les observations précédentes. Globalement, nous retrouvons le même type de rapport entre les aveugles et les voyants et leur choix de procédés selon les figures que celui constaté pour l’ensemble de l’épreuve.

D’autre part, nous pouvons remarquer que le procédé M3 est le procédé le plus fréquemment utilisé. Nous le retrouvons en tête pour toutes les figures. Or, les figures A et E étant les figures les mieux réussies, nous nous attendions à relever les procédés les plus pertinents pour ce type de figures, ce qui n’est pas le cas. Quel que soit le type de figures, les sujets ont utilisé les mêmes procédés. De ce fait, ce n’est pas le procédé qui a permis une meilleure résolution de ces items, mais bien la facilité induite par les figures elles-mêmes. En revanche, nous avons vu que les voyants ont modifié leurs procédés d’exploration non pas en sélectionnant un procédé mais en réduisant leur emploi des procédés les moins pertinents pour la tâche. De plus, les aveugles ont peu évolué dans le choix de leurs procédés d’exploration. Ces considérations expliquent la non significativité des interactions groupes x épreuves x procédés.

Cependant, nous avons avancé l’hypothèse que le procédé M3 serait une évolution des procédés M1 et M2. Or, les aveugles tardifs et précoces obtiennent les mêmes performances et ne diffèrent pas significativement au niveau des procédés. Ceci laisserait entrevoir que la combinaison qu’ils utilisent est performante. Toutefois, tout en optant pour des procédés différents, les voyants parviennent lors de la seconde épreuve à égaler les performances des aveugles à la première épreuve. Ceci semble confirmer le faible impact des procédés sur les performances. Pourtant, les voyants ont dû effectuer quelques changements de procédés entre les épreuves, pour obtenir de telles performances.

Ce point relance donc le débat sur l’efficacité des procédés. Les aveugles utilisent majoritairement les procédés métriques M3 et M1 mais très peu M2. Or M2 est un procédé statique qui implique essentiellement une activité cutanée passive. Ce procédé est par ailleurs fortement employé par les voyants. Contrairement aux procédés dynamiques, ce mode d’exploration ne nécessite qu’un traitement cutanée. Les autres procédés requièrent à la fois un traitement cutané et un traitement de la position des doigts, de la main, des articulations et de la vitesse de déplacement.

Nous avons vu que les voyants ne sont pas experts en modalité haptique. De ce fait, pour des sujets en difficulté face à la tâche, le traitement de ces informations nombreuses et variées est une barrière à la perception. L’utilisation du procédé M2 permet peut-être aux sujets de se créer un espace où l’information est traitée de manière certes, plus séquentielle mais également avec moins de risque d’erreurs. Pour les personnes plus expérimentées et par conséquent, plus habituées aux traitements des informations haptiques, la décomposition des informations est une perte de temps.

Le procédé M1 permet d’obtenir des informations de manière rapide mais le procédé M3 permet d’obtenir à la fois les informations issues de M1 et de M2 et ce, dans un même temps. Or, Klatzky et Lederman (1993) ont montré que la compatibilité des procédés diminuait le risque d’erreur en restreignant la séquentialité des informations dues à une exploration successive. Cependant, pour que ce traitement en parallèle puisse être appliqué, il faut que le sujet accepte de recevoir dans le même temps des informations différentes. Ce point ne peut se réaliser que si le sujet se sent capable de gérer ces informations. L’utilisation conjointe de deux procédés est une évolution du mode exploratoire. Pour nous risquer à une comparaison plus concrète, nous pouvons nous référer à un apprenti conducteur. Lors des premières séances de conduite, le futur automobiliste ne peut pas gérer l’ensemble des outils nécessaires à la conduite. Il ne parvient pas à centrer son attention à la fois sur le volant, les pédales, la circulation et les rétroviseurs. Il va devoir s’habituer à chaque élément progressivement avant de réaliser simultanément différents actions.

Ainsi, il ne suffit pas que les procédés exploratoires soient compatibles pour que les sujets soient capables de les utiliser conjointement. Cependant, nos résultats ne permettent pas à l’heure actuelle de montrer que le procédé M3 est un procédé plus performant que les autres pour notre tâche. De nouvelles études seront nécessaires pour tester ce postulat. Nous devrons par exemple, imposer un procédé d’exploration à nos sujets et observer leurs performances. Bien évidemment, cela suppose de former les sujets à ce mode exploratoire au préalable. Nous n’avons pas réalisé ce type d’expérience au cours de notre thèse car nous voulions nous centrer sur les capacités adaptatives spontanées des sujets et non leur imposer un mode d’exploration qu’ils n’auraient pas trouvé eux-mêmes. En revanche, ce type de recherche pourra se réaliser dans le prolongement de notre thèse.

En résumé :

Les aveugles privilégient les procédés métriques pour leur exploration, tandis que les voyants utilisent tous les procédés d’exploration à leur disposition.

L’entraînement n’a pas fait apparaître de gros changements entre les épreuves. Toutefois, les voyants ont utilisé de manière moins massive le suivi de contour.

Les sujets, voyants et aveugles, ne changent pas de procédés en fonction du type de figure.

L’utilisation de procédés pertinents au regard de la tâche, ne suffit pas pour obtenir de bons résultats. Il faut que le sujet soit capable de traiter les informations que la mise en place de ces procédés lui procure. Le rôle de l’expérience prend ici toute son ampleur.