Perspectives de recherches

Le type de matériel

A l’issue de cette thèse, nous pourrions envisager plusieurs perspectives de recherches. Tout d’abord, nous pourrions reprendre cette expérience en proposant des figures de formes différentes afin de vérifier que les effets que nous observons ne sont pas spécifiques à notre choix de figures et qu’ils se révèlent quelle que soit la figure testée.

Nous pourrions également répliquer ce travail en modifiant la taille des figures. Ceci nous permettrait d’observer l’évolution de la surestimation des longueurs au fil des essais.

De plus, ces deux types de recherche nous permettraient de mettre en évidence le rôle de la forme et de la taille, dans la mise en place des procédures exploratoires. En effet, il est probable que des figures géométriques complexes induisent l’exécution de procédures exploratoires différentes et correspondant à une recherche plus marquée de la forme. Les différences entre les aveugles tardifs et les aveugles précoces devraient être plus franches. Les aveugles tardifs et les voyants chercheront plus encore à traduire les informations haptiques en informations visuelles pour créer une représentation de l’objet avec des formes complexes. De ce fait, nous devrions observer une recrudescence de l’utilisation de procédures comme le suivi de contour ou l’enveloppement., tandis que les aveugles précoces resteraient dans une recherche des différences métriques, sans rechercher la forme globale de l’objet.

La différence pourrait également se trouver dans une recherche d’identification et de dénomination de l’objet pour les aveugles tardifs et les voyants, dans le but de résoudre la tâche, alors que les aveugles précoces suivraient une approche plus analytique. Autrement dit, les voyants et les aveugles tardifs parviendraient avec plus de difficultés que les aveugles précoces, à appliquer un processus de recherche de l’information de type descendant (Klatzky & Lederman, 1987).

Par conséquent, la complexité des figures devrait creuser l’écart au niveau des temps d’exploration, avec des durées proportionnellement plus longues pour les aveugles tardifs et les voyants, pour des figures complexes que pour des figures rectangulaires. Il serait également intéressant de tester le poids respectif de la symétrie et de l’asymétrie, dans une tâche métrique.

De même, la taille des figures a une incidence sur la perception des longueurs et donc sur les stratégies d’exploration. Ainsi, l’implication des doigts sera différente avec l’utilisation potentielle de tous les doigts et même de la paume (Lomov, 1966). L’enveloppement, tel que décrit par Klatzky et Lederman (1987), avec un paramètre de mouvement passif, réapparaîtra peut-être avec de grandes figures permettant l’apposition de la main sur la figure.

D’autre part, il serait intéressant de tester les procédés exploratoires les uns après les autres pour définir quel procédé ou quelle combinaison de procédures exploratoires débouche sur les meilleures performances et les temps d’exploration les plus courts ; dans un premier temps au niveau d’une population voyante et dans un deuxième temps auprès de populations aveugles. En effet, notre étude ne nous a pas permis d’observer de grandes différences dans le choix des procédures entre les aveugles tardifs et les aveugles précoces. Toutefois, des différences apparaîtront peut-être si les procédures sont imposées et apprises au préalable. Ainsi, qu’en sera t-il de la procédure de suivi de contour pour les aveugles précoces ? Seront-ils pénalisés par ce procédé qui induit peut-être plus que les autres le recours aux capacités d’imagerie ?

De même, l’incidence de la forme, de la taille et du procédé d’exploration est-elle différente selon la main d’exploration ? Et selon la dominance manuelle de base des sujets ? Tous les points que nous avons abordés ici, pourraient être repris dans une analyse différentielle de la latéralité, sous le double aspect de la main d’exploration et de la latéralité propre des sujets.

Il serait également intéressant de reprendre la question de l’entraînement sous un angle plus appliqué des différences issues du statut visuel. En effet, selon le statut visuel, quel type d’entraînement serait plus favorable aux sujets ? Vaut-il mieux laisser les sujets libres de choisir la procédure qui leur convient le mieux ou leur imposer une démarche exploratoire ? Et peut-on proposer des expériences haptiques et des solutions identiques selon le statut visuel des sujets et selon leur handicap ? Dans cette optique, nous pourrions proposer différents type d’entraînement : libre (ce que nous avons testé au cours de cette thèse), imposé (en inculquant aux sujets une procédure particulière et ses conditions d’application), semi-imposé (en proposant différentes procédures et en laissant aux sujets le choix de les utiliser ou non, de les combiner, ou d’en trouver d’autres) ou encore en stimulant les capacités d’imagerie,...

Ces études pourraient principalement intéresser les éducateurs et rééducateurs spécialisés dans le déficit visuel, ainsi que les concepteurs de matériels d’enseignements et de rééducation. En effet, l’enseignement, auprès d’enfants ou même d’adultes déficients visuels, est souvent relayé par des documents en relief (cartes de géographie, cours de géométrie,...). Or, l’utilisation de ce matériel nécessite obligatoirement un apprentissage préalable. Ainsi, l’avancée des connaissances sur le mode de raisonnement des sujets selon le statut visuel peut avoir pour conséquence, une modification des techniques d’enseignements en les adaptant aux capacités des sujets. De même, le matériel pourra évoluer pour être plus accessible, mieux utilisé et compris par les sujets auquel il est destiné.

Il serait peut-être pertinent de tester l’impact de l’entraînement directement sur le matériel éducatif et rééducatif. Ainsi, nous pourrions mesurer l’intérêt de ces outils et les modifier en fonction du statut visuel (aveugles précoces, tardifs, malvoyants,...) et en fonction des compétences haptiques des sujets.

Dans le même esprit, ces travaux nous permettraient d’apporter des éléments de discussion à propos des représentations morcelées, telle que la projection orthogonale. Nous pourrions également investir de façon plus marquée la perception des objets d’arts, telle que la sculpture et étudier dans quelle mesure, nous pouvons aider les aveugles passionnés d’art à appréhender les oeuvres sans être rebuté par la multitude de détails qui rendent certaines d’entre elles inabordables. Il serait aussi pertinent d’orienter nos recherches dans une perspective de description des oeuvres comme le fait l’audio-description. En effet, nous avons vu que les sujets avec expérience visuelle cherchaient à traduire les informations haptiques en informations visuelles. L’audio-description, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle, ne renforce-t-elle pas ce mode de raisonnement, en traduisant verbalement des images ou des scènes visuelles ? Met-elle suffisamment l’accent sur les autres modalités, en stimulant l’activation de représentations communes à plusieurs modalités ? Mais est-il possible pour des voyants, de traduire des images en se référant à des représentations haptiques, auditives ou olfactives ? En effet, face à une image de canapé, nous sommes peut-être plus tenté de décrire sa forme et sa couleur que sa fermeté ou sa texture. Un travail serait à effectuer dans ce sens, au niveau de la description des images à destination des personnes malvoyantes et aveugles. Nous pourrions également envisager d’introduire ce débat au sein des écoles, et ce, en incitant les enfants, dès la maternelle, à décrire les objets sous différents axes, correspondant aux différentes modalités sensorielles. Ces enfants, habitués très jeunes à ouvrir leur attention sur toutes les modalités sensorielles, seront peut-être plus apte que nous à traduire les images, sans perdre le charme, la magie et la poésie qui se dégagent d’une œuvre d’art.

Dans cette lignée, il serait également intéressant d’envisager des études de ce type auprès d’enfants, mais aussi auprès de sujets malvoyants. En effet, des études centrées sur les enfants permettraient d’aborder la question de l’évolution et du devenir des procédures apprises au cours du développement. De même, les personnes malvoyantes qui ne sont ni voyantes ni aveugles, présenteront sans doute des spécificités par rapport aux autres groupes. Nous avons vu au cours de notre thèse, le rôle de l’expérience visuelle dans une tâche haptique. Il est probable que le statut visuel des malvoyants a une implication d’autant plus forte que cette modalité leur fait particulièrement défaut. Pour des tâches haptiques et en particulier pour l’exploration de dessin en relief, ces sujets chercheront peut-être encore plus que les voyants et les aveugles tardifs, à traduire les informations haptiques en informations visuelles, tout en rejetant un traitement direct qui, psychologiquement, les feraient basculer du côté de la cécité. Nous pourrions alors envisager d’entraîner les sujets à traiter les informations en tant qu’informations haptiques, parallèlement à un soutien psychologique, ce qui leur permettrait de s’adapter plus aisément à leur situation et par conséquent à mieux vivre.

Pour conclure, nous pourrions dire qu’apprendre à toucher est primordial, au même titre qu’apprendre à voir ou à entendre, et ce, quel que soit le statut visuel des sujets. Il est important qu’au cours de son développement, l’enfant puisse faire des expériences tactiles et mettre en place des procédures exploratoires qui lui ouvriront la porte de la modalité haptique. Nous pensons que le toucher doit trouver sa place, et ce, malgré les tabous qui le cerne. Un compromis doit être signé entre les barrières de la bienséance sociale, ou il est interdit de toucher par précaution, hygiène ou respect, et la nécessité de développer cette modalité. La conciliation ne pourrait-elle pas se réaliser au travers de jeux éducatifs et ludiques, où le toucher serait le principal acteur ?