UNIVERSITÉ LUMIÈRE-LYON 2
INSTITUT DE PSYCHOLOGIE
THÈSE
Pour l’obtention du DOCTORAT
de Psychologie et Psychopathologie Clinique
Le 1er mars 2002
SUBJECTIVATION ET INTERSUBJECTIVITÉ RECRÉéES DANS LA DÉMENCE :
CONTRIBUTION A L’ÉTUDE DES PSYCHOTHÉRAPIES DU SUJET ÂGÉ DÉMENT
Sous la direction de Monsieur le Professeur Jacques GAUCHER
Rapporteurs :
Professeur J.L. Pédinielli Université de Provence Aix-Marseille 2
Professeur N. Rigaux Université de Namur
Jury :
Professeur J. Gaucher, Université Lumière-Lyon 2
Professeur J.L Terra Université Claude Bernard Lyon 1
Professeur P. Cappeliez Université d’Ottawa
Professeur L. Ploton Université Lumière-Lyon 2
Professeur G. Broyer Université Lumière-Lyon 2

REMERCIEMENTS

Monsieur le professeur J. Gaucher, de la bienveillance avec laquelle il m’a accueilli dans le groupe de recherche en psychogérontologie, son soutien et ses encouragements chaleureux pendant la direction de ma thèse ainsi que son enseignement.

Monsieur le professeur J.L Terra, pour la richesse de ses travaux, ainsi que pour sa rigueur scientifique et nous sommes honorés de sa contribution à la correction et à l’évaluation de ce travail.

Monsieur le professeur P. Cappeliez, pour qui nous sommes reconnaissant de l’intérêt porté à notre travail et ses publications ont élargi nos orientations de recherche.

Monsieur le professeur L. Ploton, son dynamisme communicatif, ses connaissances ainsi que ses nombreuses publications m’ont accompagnées dans mon cheminement. Nos rencontres ont également contribué à mener à bien cette thèse.

Monsieur le professeur G. Broyer, qui nous a fait bénéficié de son enseignement, des conseils et des attentions qu’il nous a prodigués tout au long de notre parcours universitaire.

Madame le professeur N. Rigaux, qui a accepté la charge de rapporteur. Nous serons sensibles à ses appréciations. Nous lui sommes particulièrement reconnaissant de l’intérêt porté à notre travail.

Monsieur le professeur J.L. Pédinielli, qui nous fait l’honneur d’être rapporteur de cette thèse. Ses observations et ses critiques nous serons bénéfiques.

Tous nos remerciements aux professeurs de l’Université-Lyon 2 pour leur qualité d’enseignement et en particulier à madame le professeur C. Vacheret, pour le tutorat de D.E.A., à monsieur JM. Talpin, qui a su stimuler mon engagement dans le D.E.A., auxquels nous associons les thérapeutes familiaux de l’association ADSPF, madame F. André-Fustier, madame F. Aubertel et monsieur JL. Dorey.

Nos remerciements s’adressent également à Monsieur le professeur R. Gonthier, chef de service de l’hôpital de la Charité (CHU St-Etienne), à monsieur le docteur Y. Delomier, à madame le docteur C. Girtanner, ainsi qu’à tous nos collègues de travail, les collègues psychologues, et en particulier

« Ce que le groupe rend possible, c’est la reconnaissance dans l’expérience transitionnelle, du fondement groupal du sujet singulier ; c’est en ce lieu que les psychothérapeutes de groupe sont, dans notre monde moderne, convoqués à travailler. C’est là que s’exercent les processus de transformation et d’invention de nouveaux rapports à l’autre, à la langue, à soi.»
R. Kaës, 1987.

«Le plus insupportable dans la perte, serait-ce la perte de vue ?
Annoncerait-elle, chez l’autre, l’absolu retrait d’amour et, en nous, l’inquiétude d’une infirmité foncière : ne pas être capable d’aimer l’invisible ?»
J.B Pontalis, 1988.

A mes parents
A ma famille

LA PAROLE AU SUJET AGE DEMENT

AVANT–PROPOS

La démence comme « maladie du lien » (actualisation d’une souffrance et mise en crise individuelle autant que groupale par « emboîtements »), peut nous éclairer sur la construction du lien intra et intersubjectif. Tout au long de mon parcours professionnel, la question de la construction psychique du lien humain a représenté la question de fond.

La construction de la psyché est en lien étroit avec le rapport à autrui , comme question centrale de ma réflexion, construction psychique à rechercher entre ce qui se passe à l’intérieur de l’individu et ce qui se passe dans son entourage réel et imaginaire. Le petit groupe est aussi une méthode et un lieu pour observer et comprendre la constitution du lien entre l’individuel et le groupal.

La clinique de la démence, observée dans les petits groupes, offre un exemple de la déconstruction progressive de ce lien. Nous pouvons admettre l’idée que la déconstruction nous donne des éclairages sur la construction de ce lien. Cette idée renvoie au postulat plus général que la pathologie donne les éléments d’une théorisation de ce qui est à l’œuvre dans la normalité. L’étude de la mémoire en est un exemple.

Illusion peut-être, dès la rencontre avec ce type de pathologie, que de vouloir penser cette maladie comme « maladie à part entière », car les données globales actuelles ne sont pas suffisamment pertinentes pour rendre compte d’une théorie générale. Plusieurs raisons à cela : d’abord la quasi-exclusivité de l’approche médicale (légitimée) a eu pour effet de minimiser les autres approches, de considérer la vieillesse sous l’angle du déficit, et surtout d’observer un certain « clivage » entre les différentes approches actuelles : neurologiques, neuropsychologiques ou psychopathologiques en particulier. L’autre raison me paraît plus essentielle encore : les interférences entre le travail autobiographique du patient dément et la reconstruction « après coup » en présence du thérapeute sont source de réverbération. Le dément met l’interlocuteur dans une position quasi d’archéologue en quêtes d’éléments ou d’événements historiques à reconstituer pour donner sens à un sujet qui semble parfois absent de sa propre histoire.

L’objet d’étude, la démence ne concerne pas seulement l’objet cognitif, mais également l’objet affectif, narcissique, autant que l’objet de penser.

Les interrogations à partir de la pratique nous aident à continuer d’observer ce que le patient nous offre à la compréhension. Mais, ce travail d’investissement de chaque acteur de/dans la relation, modifie nos représentations de la maladie.

Le patient « dément » nous montre la voie, quand nous le suivons suffisamment longtemps, en nous montrant son « besoin » de raccordage à l’autre, puis aux autres et avec lui-même pour mieux surmonter sa souffrance. Certains y parviennent, et nous parlons alors de « démence chaude » (notion abordée avec G. Le Gouès dans le travail d’écoute de l’écoute) pour qualifier un sujet dément qui reste accessible à la relation, malgré la maladie et de façon relativement indépendante de l’évolution de ses troubles cognitifs. Cette notion est une image et non pas un concept, mais qui actualise l’importance de la structure de la personnalité et de la représentation des événements individuels et familiaux.

Un travail d’accordage entre les différentes disciplines concernées manque douloureusement à se produire, au niveau théorique et dans les implications pour la pratique, pour permettre un travail de généralisation, de cohérence d’approche et de « reproductibilité ». Pourtant si l’accompagnement du sujet et de sa famille invite à une position modeste et humble dans le travail d’interprétation des « observés », cette réalité nous invite à faire des liens, à établir des ponts entre les différents champs d’approche.

Ce travail d’accordage (accord d’âge ?) est cependant important : le lien psychique dans le rapport à l’autre en situation de groupe est compris ici à partir de la «capacité d’être seul en présence de l’autre» (W.R.Winnicott).

La clinique psychopathologique actuelle de ces vingt dernières années s’accorde à mettre l’accent sur les problématiques de deuil, sur le narcissisme, sur la question de « l’objet » (relation d’objet), ce qui amène à ré-interroger les dispositifs théoriques et méthodologiques de prise en soins pour répondre aux nouvelles formes d’expression de la souffrance humaine, et d’intégrer ainsi les problématiques liées au « travail du vieillir » concernant les troubles psychiques.

La question de la démence interroge le lien familial, groupal, le vieillissement normal et pathologique, l’identité de soi dans la perspective du narcissisme, « l’héritage psychique » avec les questions de « ruptures » de transmission. Les recherches de R. KAES (séminaire de D.E.A.1995-1996) sur la transmission psychique interrogent la question de « se transmettre » (narcissisme) et d’un « nous qui pense » pour nous aider à penser le lien entre un conscient et un inconscient (hypothèse d’un préconscient comme la fonction de l’autre). Des chercheurs de différentes disciplines comprennent cet intérêt d’un « nous » qui pense pour se centrer sur nos points d’accordages pluridisciplinaires et pour mettre l’accent sur les conséquences de la groupalité dans la construction psychique de l’individu.

Ainsi, le concept de « résilience » désigne «cette propriété à encaisser les chocs et à rebondir, semble être également une arme contre la dépression». Le travail de B. Cyrulnik (1999) développe ce concept de résilience qui «désigne la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité». Cet auteur nous en donne une belle définition : «elle [la résilience] n’est pas à rechercher seulement à l’intérieur de la personne, ni dans son entourage, mais entre les deux, parce qu’elle noue sans cesse un devenir intime avec le devenir social».

Le travail de résilience montre que l’individu peut à certaines conditions transformer le négatif en positif. En ce sens la résilience est aussi un concept « paradoxal » comme celui « d’être seul… ». Dans le travail « du vieillir », les événements de vie ou plutôt l’objet « autobiographie » raconté en présence de quelqu’un, est aussi un champ de recherche possible de la portée de ce concept de résilience.

Le sentiment de soi (capacité d’être seul en présence de l’autre) éclairant la question de l’identité de soi, me paraît-être un critère de l’aptitude à la résilience et à la capacité à devenir soi-même, en mettant en perspective la dimension individuelle, groupale et familiale de la dynamique du lien (stratifications successives de la construction psychique).

L’autre versant de cette interrogation sur la relation, sur le lien intersubjectif, nous oblige à penser « l’appareil psychique » dans sa complexité et surtout dans sa dynamique et son adaptabilité.