C’est le cheminement (provisoire) d’une pratique psychothérapique de dix années auprès d’adultes âgés, diagnostiqués déments type Alzheimer, qui a orienté le travail actuel d’écriture. La rencontre avec ces patients dans différents lieux de vie (établissement médicalisé, services de soins de longue durée) et lieu de soins (hôpital de jour de psychogériatrie), m’a amené à orienter ma recherche dans le champ de la psychothérapie du sujet âgé.
Si dans toute approche psychothérapique nous avons le souci de maintenir vivante l’expérience de l’altérité, ma pratique auprès de sujets porteurs d’une maladie d’Alzheimer a été marquée par la question du lien/maintien d’un lien inter-humain. Ce travail s’intègre dans la problématique de la liaison/déliaison des affects et des représentations à partir des situations d’impasse relationnelle de la clinique. Dans cette optique, j’ai choisi de travailler à partir de la position contre-transférentielle plutôt qu’à partir d’une position théorique, car dans la clinique psychopathologique de la démence, cette analyse est première et aussi nécessaire pour comprendre le sujet en situation de déconstruction mentale (dégénérescence), voire de dé-génération (à partir des effets de la pathologie sur l’environnement familial).
Les enjeux de la transmission « de la vie psychique » (concernant les symptômes, les mécanismes de défense, l’organisation des relations d’objet) depuis les travaux de N. Abraham et M. Torok (1978) sur le deuil, l’incorporation et la crypte jusqu’aux recherches issues de la pratique analytique des thérapies familiales (A. Ruffiot, 1981) ainsi que les questions sur la filiation (J. Guyotat, 1980), sont autant de points de nouages et également « d’étayage du narcissisme sur celui de la génération qui précède » (R. Kaës, 1993). Ce dernier, dans son séminaire, a souvent repris ces vers bien connus de Goethe : «ce que tu as hérité de tes Pères, afin de le posséder, gagne-le» et il parle ainsi du «sujet de l’héritage», en appui sur l’analyse des textes de S. Freud qui montrent la double nécessité «d’être à soi-même sa propre fin et d’être le maillon d’une chaîne à laquelle il est assujetti sans la participation de sa volonté». La question de la transmission se pose ainsi avec acuité dans la démence : qu’est-ce qu’un malade alzheimer transmet à ses enfants ? dénoue-t-il une chaîne familiale ? Le modèle de la transmission psychique vient s’opposer au modèle de la dégénérescence dans le débat sur l’hérédité. L’analyse de la position contre-transférentielle est ainsi posée comme mode d’accès et d’analyse des affects des patients déments, du cheminement de la pensée et de l’élaboration théorique du fonctionnement de l’appareil psychique dans la démence.
Cette introduction vise à embrasser les points d’interrogations rencontrées dans le suivi de ces patients : pour essayer de comprendre d’abord et, comme on dit, de donner du sens sinon un sens. Ces points d’interrogation sont aussi des carrefours de la pratique comme de la théorie, carrefours évoqués pour nommer les différentes articulations possibles. L’ensemble de ces points nomme et reflète une manière d’entrée dans le champ de la clinique de la démence.
Cette introduction sera découpée en quatre volets pour indiquer d’abord les différents niveaux de la recherche :