1.1.14 Un chez-soi dans la démence

Le titre de ce chapitre «le chez-soi dans la démence» est la métaphore de l’image de soi, du sentiment d’intériorité, du sentiment d’habiter son espace interne. Si la notion de groupe apparaît ici moins centrale que dans le travail précédent (D.E.A.), c’est parce que le groupe n’est peut-être qu’une modalité d’approche thérapeutique, comme relais temporaire à une reprise possible du suivi individuel ? L’essentiel se situe du côté de la qualité de la relation psychothérapeutique, ainsi que dans la capacité de relance du processus associatif, et en ce sens on rejoint les mêmes préoccupations que pour d’autres formes de psychothérapies appliquées à d’autres pathologies.

Du point de vue de la recherche, le groupe est le lieu de connaissance de la formation et de la structuration du lien, de ce qui se passe entre les personnes et la démence sous l’angle de la déstructuration psychique peut éclairer les différentes stratifications nécessaires à l’individuation.

La thématique de la liaison/déliaison marquée par l’axe de la séparation, de l absence et de la représentation, a valeur d’interrogation universelle, car chacun de nous est confronté répétitivement aux expériences de séparation physique et psychique. Dans l’exercice de nos professions soignantes, nous exerçons aussi un travail de séparation.

Mais, c’est d’abord un besoin d’accordage ; le patient nous montre la voie : d’abord 2 par 2, puis dans un groupe. C’est aussi soutenir qu’il y a du possible dans la mise en place des thérapies pour les sujets déments. Ce travail de raccordage signifiait alors, pour moi, un immense besoin de repères à partir de la question première : qu’est ce qui relie le dément au thérapeute ? Comment le dément nous perçoit-il ? Comment maintenir une relation de type psychothérapeutique sans risque d’être dans un pouvoir décisionnaire avec le patient dément, c’est-à-dire en évitant de devenir un modèle à copier ? « Démence », une conception plus proche de nous quand l’autre nous tend un miroir de nous-mêmes. L’approche par l’abord du contre-transfert est issue de cette question sur la réverbération.

Dans la pratique, il est important que le thérapeute survive à cette expérience, de la confrontation à une psyché qui se perd, qui se délite. A l’image de ce que décrit et analyse D.W. Winnicott (1971) sur le cas de « la petite Piggle », il est important que le patient fasse l’expérience que le thérapeute n’est pas détruit par sa destruction. La difficulté même d’un suivi individuel au long cours, au-delà de la perte progressive de la notion de permanence de l’objet, met l’accent sur l’espace privé de cette relation : le dément aurait-il peur de cet intime ? La peur de l’intime correspond-elle à l’effondrement d’un espace privé, d’un chez-soi, c’est-à-dire un Soi insuffisamment constitué et qui serait à l’origine des démences de défense  ?