3.6.3 Hétérogénéités des manifestations neuropsychologiques

Les évaluations neuropsychologiques ont cherché à aborder la question de l’hétérogénéité des manifestations cognitives dans la démence. Cette question n’est pas anodine dans ce domaine, puisqu’elle conditionne, d’une certaine manière, la capacité ou non à concevoir les premiers signes de la démence à se manifester dans la démence type Alzheimer. En particulier, selon l’approche de la neuropsychologie cognitive, il est important de savoir si l’une des composantes de la cognition est systématiquement affectée et avant les autres dans la D.T.A. Sinon, cela suppose de devoir évaluer l’ensemble des composants de la cognition ou alors sur des indices comportementaux, mais pour lesquels il n’y a pas, dans ce domaine de référence théorique explicite (F. Moulin et J. De Rotrou, 1994).

Si on suppose une hétérogénéité longitudinale pour des manifestations neuropsychologiques, pour plusieurs sujets ou un groupe de sujets, la question se tourne vers les projets de soutien cognitif comme vers l’évaluation de l’efficacité médicamenteuse car ces deux études s’appuient sur l’idée que l’évolution naturelle de la maladie se fait de façon parallèle et uniforme c’est-à-dire généralisable. Ce qui dans la réalité de l’observation n’est pas évident et plusieurs études montrent clairement que les manifestations neuropsychologiques de la D.T.A. sont hétérogènes (J. Brull et al., 1979 ; Y. Joanette et al. 1992 ; R. Mayeux et al., 1985 ; K. Ritchie et J. Touchon, 1992 ; P. Scheltens et al., 1993).

Il était admis jusqu’à maintenant que les manifestations neuropsychologiques hétérogènes étaient surtout présentes en début d’évolution ; certaines données montrent que le profil d ‘évolution peut lui aussi être hétérogène « dissocié « (Y. Joanette et al., 1995). Cette hétérogénéité des manifestations neuro-psychologiques dans la D.T.A. qui montre que les performances cognitives n’involuent pas de façon parallèle et relativement continue, met en évidence la difficulté à identifier pour un individu donné ses forces et ses faiblesses, ou comme on dit aujourd’hui, ses «capacités restantes». Personnellement, je préfère parler de capacités actuelles. De toute manière, cette identification des capacités actuelles est nécessaire pour la prise en charge de ces patients, aussi bien dans le domaine cognitif qu’affectif et relationnel (J. Lacroix, M. Bois et Y. Joanette, 1994).

Les manifestations neuropsychologiques de la D.T.A. se complexifient au fil des progrès dans le domaine de l’évaluation : «cette hétérogénéité n’est probablement pas surprenante lorsque l’on considère que deux individus de même contexte socio-culturel, frappés chacun d’une lésion unique et d’apparition subite, localisée de façon strictement identique dans le cerveau, ne présentent pas les mêmes déficits cognitifs» (Y. Joanette et al., 1995). Dans un article intitulé «de l’homogénéité à l’hétérogénéité», Y. Joanette et al. (1992) concluent leur recherche sur un constat : «En somme, aucune explication satisfaisante n’est disponible à l’heure actuelle pour rendre compte de l’hétérogénéité des manifestations neuropsychologiques de l’Alzheimer. La cause de cette hétérogénéité procède probablement tout à la fois de facteurs liés à l’individu lui-même, de notre méconnaissance de l’organisation fonctionnelle du cerveau liée à la cognition ainsi que de l’énigmatique complexité des causes mêmes de la maladie d’alzheimer et de ses formes cliniques».

On observe, en définitive, que le nombre de facteurs inter-agissants croît avec les temps d’apparition, les différentes variables des différentes altérations, les localisations, et les différents profils d’atteinte cognitive établis.