3.9 Mémoire et prise en charge

Dans une perspective cognitive, chaque prise en charge réeducative nécessite une compréhension du déficit afin de comprendre de quel désordre sous jacent dépend le trouble. L’évaluation préalable doit essayer de comprendre les déficits rencontrés par le patient dans sa vie quotidienne. En dehors des approches que nous avons citées plus haut, d’autres logiques de prise en charge des troubles mnésiques se situent dans plusieurs orientations :

Ces différentes techniques d’approche posent la question de l’efficacité liée à la question du caractère évolutif de la maladie, à la variabilité inter et intra patients dans leur réactivité à l’évolution des troubles.

Les comptes rendus de ces effets de prise en charge neuropsychologique sont encore aujourd’hui en petit nombre. Leur évaluation pose des problèmes spécifiques dans la D.T.A. Cette difficulté rend compte en premier lieu de la question des objectifs, et en particulier la question de la durée de la prise en charge qui est différente suivant qu’il s’agit d’une durée courte, pour mesurer la régression d’un trouble, ou bien d’une durée plus longue (un an ou plus), pour mesurer le ralentissement d’un trouble. Cependant, c’est une tâche difficile compte tenu qu’il n’y a pas de norme d’évolution établie pour la population « Alzheimer ». Les troubles ne progresseraient pas de façon constante au cours de l’évolution de la maladie.

Certains visent à décrire la chronologie d’installation des troubles (F. Eustache et al., 1993) pour évaluer l’efficacité de la prise en charge. La question se pose également en terme de type de déficit qui fait l’objet de la prise en charge. Un « relatif consensus « (F. Eustache, 1993) se dégage quant à l’évolution des troubles du langage oral : déficits lexico-sémantiques, phonémiques et syntaxiques, avec en particulier une évaluation sur la capacité à dénommer, puis à définir des mots et à décrire l’image qui correspond. L’action réeducative améliore les capacités de dénomination qui se maintient pendant quelques semaines (C. Dubois Remund, 1995).

Des études de groupes comparées (en terme de données moyennes de groupes de patients entraînés et de groupes de patients non entraînés) montrent peu les effets de la prise en charge. De la même façon, des études ont cherché à évaluer les effets du programme PAC-FNG (programme d’ activation cérébrale-Fondation Nationale de Gérontologie) chez des patients déments à l’aide de tests et d’échelles d’activités de la vie quotidienne : des « effets plafonds » sont notés, et des effets positifs se dégagent pour trois items concernant la dénomination, les praxies constructives, la reconnaissance d’une liste de mots. Dans l’ensemble, la comparaison de score de changement sur des groupes paraît inadaptée à l’évaluation des effets de la prise en charge : d’une part, en raison de l’hétérogénéité des performances dans les études et dans les groupes pour les pathologies démentielles, la diminution des troubles dépressifs due à une situation stimulante, peuvent contribuer à des améliorations de performance ; et n’est pas en soi un effet de la prise en charge neuropsychologique.

Ces études ne sont pas représentatives de l’ensemble des recherches entreprises sur la prise en charge des patients déments. Ces travaux ne permettent pas d’ajuster la prise en charge aux difficultés et aux besoins du patient, comme dans le suivi individuel qui permet davantage de pouvoir évaluer les changements en référence à chaque cas particulier. Ces études font également souvent appel à la participation d’un proche, souvent incontournable dans l’établissement des objectifs de la rééducation et de sa mise en œuvre, du fait des entraînements à domicile, de l’évaluation des effets de la prise en charge dans les situations de la vie quotidienne, et du fait qu’il repose en partie sur le regard de l’aidant.

Cependant, cette évaluation des programmes de rééducation neuropsychologique, n’est pas sans poser des questions car la « fidélité » entre les différents évaluateurs peut être insatisfaisante, vu la différence de compétence entre le recueil fait par les chercheurs-thérapeutes et celui fait par la famille du patient.

A titre d’exemple, nous avons participé à une étude portant sur «l’évaluation des troubles mnésiques dans la maladie d’Alzheimer par le patient, sa famille et les soignants avant et après trois mois de prise en charge en hôpital de jour psychogériatrique» (C. Thomas-Antérion et coll., 1996). Elle montre que l’évaluation des difficultés mnésiques faite par la famille est peu fiable. Cette étude a surtout montré «l’indépendance de l’anosognosie par rapport aux signes cliniques de la maladie» (B. Vellas et al., 1996). Nous pouvons dire aussi que cette étude a ré-interrogé la notion de conscience des troubles, puisque l’on a trouvé que le patient avait une conscience de ces troubles mieux évaluer que ne savait le faire sa famille ou même les soignants ! La « non-fiabilité » comparée entre famille et chercheur est également retrouvée dans d’autres études (A. Baddeley, 1992), notamment lorsqu’on a recours à des conjoints âgés, et parce que l’évaluation subjective des difficultés mnésiques et en particulier dans la mémoire épisodique, implique trop affectivement l’entourage.

Nous pouvons conclure ce chapitre sur la question de la durée et des limites rencontrées dans la rééducation neuropsychologique, comme d’ailleurs dans toute forme de psychothérapie proposée au sujet dément. A un autre niveau les mêmes questions se posent sur l’indication d’arrêt de la prise en soins en hôpital de jour avec ces patients : comment vivent-ils ces séparations ?

La plupart des programmes de rééducation neuropsychologique classique prévoient des interventions sur des périodes courtes, ce qui est pensé par rapport à des pathologies « stables ». Mais, comment fixer le terme d’une prise en charge de patient dément type Alzheimer ? Là encore, la question de l’hétérogénéité des troubles et la variabilité du rythme d’évolution de chaque patient se combinent, sans compter ,ici, les effets sur l’environnement, pour donner des tableaux très complexes. Dans cette question de la durée de la prise en charge, les praticiens s’interrogent tous sur l’effet « catastrophe » que peut entraîner l’arrêt de la prise en charge, (effet traumatique ; lien réactivé démence/trauma ?). D’une autre manière, on peut parler également de la crainte d’un vécu de mise entre parenthèses, des bénéfices de la prise en charge, après arrêt de celle-ci.

Les différents types d’évaluation et de prise en charge neuropsychologique tentent d’articuler plusieurs approches, notamment en ré-interrogeant les objectifs de la prise en charge individuelle ou en groupe (sans prendre pour autant en compte les effets « groupe »). L’objectif général de ces prises en charge est d’entretenir les facultés restantes, en particulier sur le plan mnésique et au niveau du langage verbal.