5. Articulation de ces trois champs : la psychogérontologie clinique

Ce champ représente, à mes yeux, le champ de la psychologie clinique de la personne âgée, car dans le contexte général du vieillissement, il concerne l’étude des processus affectifs, sociaux et cognitifs. La psychogérontologie clinique est un champ de pratique et de recherche en devenir, et vise à appréhender les enjeux du vieillissement par une approche psychodynamique et psychopathologique. La psychogérontologie est également mon champ d’exercice professionnel depuis plus de dix ans, et j’ai pu mettre à l’épreuve mes implications dans la recherche par mon inscription en DEA et par ma participation au groupe de recherche en psychogérontologie clinique à l’institut de psychologie de Lyon II, dirigé par J. Gaucher.

Au delà de la spécificité des champs et de la création de regroupements transversaux et différents, c’est davantage le niveau, le type et la qualité d’écoute qui sont essentiels. A titre d’exemple, la formation à la thérapie familiale m’a enseigné qu’il est possible d’avoir une écoute de type groupal/familial dans un travail individuel.

Ce champ psychogérontologique se situe au carrefour de différentes disciplines (médicale, psychologique, sociale, etc.), la prise en compte de différents champs théoriques constitués car la question de la démence en appelle en particulier aux champs neurologique, cognitif et psychopathologique.

Le vieillissement est un phénomène extrêmement hétérogène ; l’accent est porté sur l’influence de l’histoire individuelle et familiale et sur les éléments de la personnalité antérieure. Les différents éléments affectifs, sociaux et psychologiques participent à la création de facteur de «résilience» répondant aux facteurs de risque liés aux problèmes cliniques du vieillissement.

Dans ce quatrième champ, qui constitue du fait de ma pratique clinique un « métachamp », dans l’actuel et indépendamment des circonstances individuelles qui ont tendance à définir une approche strictement individuelle, les personnes âgées rencontrées, et plus spécifiquement le corps du sujet âgé, renvoient à l’idée de pertes : perte de force, perte de rapidité, perte de tonicité etc. La modification de certaines fonctions est également associée au grand âge : perte de mémoire, perte de l’équilibre. Le corps de l’âgé apparaît en général comme un corps qui fonctionne moins bien et marqué par la perte.

Les remaniements corporels importants ont des effets sur le narcissisme de la personne et peuvent conduire à une véritable crise identitaire (que suis-je devenu ?). Selon les idées de E. Jaques (1963) à propos des crises postérieures l’enfance, il se produirait un réaménagement de l’équilibre pulsionnel entre pulsion de vie et pulsion de mort, entre Eros et Thanatos, qui entraînerait une élaboration nouvelle de la position dépressive.

La crise du vieillissement serait-elle alors liée à une remise en cause des identifications : celle des parents de l’enfance, celle des parents morts ? Du point de vue de la mémoire du corps, des «trahisons» du corps (H. Bianchi, 1989), la crise du sujet âgé mobilise la question de la réassurance narcissique ; en son absence, il y a alors une impossibilité de s’identifier à son corps. Dans ce contexte, c’est l’enfant rêvé, imaginaire qui peut être resurgit. Cela réactive, sur un mode affectif, la mobilisation des identifications dites archaïques et une reviviscence des objets oedipiens. Dans la réalité, il existe une confrontation par rapport à l’écart entre les figures parentales, telles que le souvenir enfant les a conservées, et le père et la mère morts.

Dans ce chapitre, nous aborderons la question de l’image du corps et du vieillissement, après avoir posé quelques interrogations concernant des thèmes aussi vastes que difficiles tels que le temps et la mort. La démence nous confronte à l’horreur de la mort psychique, là ou la castration symbolique rejoint la castration réelle. La clinique de la démence nous oriente vers la question d’une actualisation de la souffrance, avec la perspective de la mort à venir. Mais le travail du vieillir est également à comprendre comme une dynamique, comme un objet désignant cette dynamique, lien sans doute toujours recommencé et qui ne cesse d’interroger nos liens d’attachement. En ce sens, le travail d’identifications s’inscrit dans la continuité de la vie. Le travail psychique devient alors un passage « obligé » pour penser (et panser) sa vie affective et élaborer une distance suffisante.

De ce point de vue, le rôle de l’involution des organes est relativement mineur par rapport au contexte social, familial, économique et, surtout, par rapport aux représentations que chacun se fait du vieillissement. Plus précisément cela interroge le rapport réflexif à soi-même au regard des représentations de la vieillesse, et des ressources symboliques et temporelles de chacun. L’altération identitaire, dans la démence de type Alzheimer, va jusqu’à remettre en cause ce qui demeure constitutif de la personne humaine, à savoir la permanence du maintien de soi.