5.2 Le concept de «crise» en psychogérontologie

A partir du modèle de la crise, E. Jacques (1963) parle de deux crises vitales pour l’individu : la première après l’âge de 35 ans et la deuxième après 65 ans. La crise dite du «milieu de vie» correspond à la capacité du corps de lier ensemble pulsion de vie et pulsion de mort. C’est aussi le début de la prise de conscience de la mort comme concernant la personne elle-même, avec une confrontation entre une force constructive et une force destructive. L’élaboration de la «position dépressive», de la perte et du deuil dans le développement, constitue un moment de crise qui existe dès la première année de la vie. L’image idéale de soi-même, le Soi Idéal, le Moi-Idéal, l’Idéal du Moi, sont mis en crise à plusieurs reprises dans la vie de l’individu. Un travail de désillusion est nécessaire, impliquant deuil et séparation à l’égard d’un objet idéal. Si l’idéalisation est sur un mode trop narcissique, les différentes crises seront difficiles à surmonter.

Chaque individu, à partir de son histoire et de son expérience, s’appuie sur des étayages multiples pour construire le lien humain avec lui-même et avec autrui. Ce lien se constitue à travers différentes épreuves de discontinuité entre les événements de vie et la manière dont le sujet les met en forme, pour rétablir une continuité. Le modèle de la crise, comme modèle reconnu et partagé, rend compte des différentes crises que traverse chaque individu. Nous parlons de crisematurative pour désigner une étape dans le développement de l’individu, étape nécessairement admise comme source de maturation psychique et affective (crise de la « mise au monde », crise adolescente, crise dite du milieu de vie, crise de la vieillesse etc.) et nous parlons de crise conjoncturelle pour désigner une épreuve, une mise en crise liée à un événement (maladie, veuvage, passage à la retraite, etc.). La crise, la mise en crise, nécessite un travail d’élaboration psychique comparable à un travail de deuil, pour pouvoir dépasser cette crise et continuer d’habiter sa propre vie : ce travail est tout tracé par le titre de l’ouvrage collectif sur la crise (R. Kaës et coll., 1979).

La rencontre hospitalière avec un patient et un ou plusieurs membres de sa famille, se fait peu ou prou dans un contexte de crise. Les troubles du comportement ou de la conduite de la personne âgée sont autant de symptômes qui ont, à mon sens, valeur de reflet de cette situation de crise et également à interpréter comme source d’un déplacement, d’un appel à un changement relationnel. Dans la réalité des consultations, cet appel au changement contient un mouvement destructeur lié sans doute à la pulsion de mort, qui entraîne souvent une décision de changement de place par la voie de l’institutionnalisation. Pourtant, cet appel au changement, comme toute situation de crise, est un appel à recréer du sens, en même temps qu’il s’agit d’une demande d’étayage thérapeutique. Dans la problématique de la transaction démentielle en particulier, mais sans doute également dans le travail du vieillir comme phase de mouvement régressif « familial/individuel », il y a une demande sous jacente de faire un travail de lien entre la plainte (le corps malade) et la souffrance psychique. Cet appel relationnel, dans un contexte de mouvement régressif, fait ré-émerger et ré-interroger la place de l’aïeul comme figure d’identification, et également dans un contexte de double, figuré par le couple parent/enfant constituant l’aidant principal du patient.

D’une manière générale, le travail de thérapie familiale comme celui des entretiens en situation de crise chez le sujet âgé, nécessite de la part des intervenants une analyse de la distance psychique et une élaboration de la qualité de contenant de l’individu et du groupe.