5.4 Une clinique de la régression

La dimension de passage du corps au psychisme apparaît centrale dans les recherches actuelles sur l’observation mère/enfant. En examinant ainsi les modélisations actuelles sur les débuts de la vie psychique, c’est sur la place de la mère comme objet d’investissement qu’est mis l’accent ainsi que sur deux notions qui peuvent paraîtrent contradictoires : la réciprocité et la dyssimétrie de la relation. La relation suivie avec les sujets déments et l’accompagnement dans leur voie régressive nous invitent à ce retour en enfance et à un coup d’œil sur les commencements. C’est ce défaut de raccordage chez le sujet dément qui nous entraîne vers la notion des premiers signifiants. Il faut qu’un tiers intervienne et notamment par le langage, pour aider à faire le lien entre deux perceptions, ou encore par la délimitation de paires d’opposées (chaud/froid). La situation de la personne démente renvoie à l’image de l’impuissance du bébé et à sa dépendance première, bombardé de stimulations diverses et exposé à revivre cette dépendance à l’environnement.

Dans son travail de recherche, C. Montani (1993) fait un rapprochement entre le mécanisme de démentalisation et celui de régression, en posant la question d’un «retour à, d’un retour vers, ou d’un retour de» à propos de la régression démentielle. Cet auteur précise qu’il s’agit d’un « retour vers » l’infantile, en soulignant cependant «l’existence d’une sorte de résidu organisateur propre à chacun qui se perpétuerait quels que soient les dommages et l’uniformisation engendrée par la pathologie».

Cette question du « retour » comme on dit du « retour d’âge », remémore en moi un moment d’un groupe, avec cette image actuelle d’un temps ou plutôt d’une horloge sans aiguille (notion «d’horloge figée» selon N. Bouati, 1999). Les participants de ce groupe, avait comme support ce jour là, le thème de « donner/recevoir ». Un temps de conflit s’est produit entre deux participants, l’un déambulant sans cesse, l’autre cherchant à le maintenir dans le cercle des participants. Le premier est alors sorti de la pièce. Une patiente, après un long temps de silence, s’est exprimée : «il faut repartir à zéro» en même temps qu’un mouvement de recentrage vers le tableau s’effectue, (comme support matériel de choses). De ce fait, trois personnes se retrouvent devant le tableau faisant ainsi « disparaître » le support habituel. Une patiente a alors dit : «il nous faudrait des mots d’avance» s’adressant à moi et complétant ainsi : « je suis là pour écouter, c’est à vous de parler». Cette disparition du support interpellait ma situation d’engagement dans ce groupe. Ce qui dans la question même du « retour », replaçait les participants dans une position générationnelle d’antériorité, oubliée ou déniée jusqu’alors ?

L’exemple de ce moment du groupe a interpellé l’idée de mon propre « compte à rebours » et la question du devenir (partir avec des mots d’avance, avec un passé et des souvenirs) ou du non-devenir (repartir à zéro, comme équivalent de remettre le compteur de la vie à zéro). L’idée d’un point zéro fait associer à l’idée d’un retour quasi chronologique, à l’idée d’un point de départ de la pensée comme point zéro. La question du temps fournit-elle un exemple de passage du corporel en tant qu’éprouvé au psychique, en tant que début de la mentalisation ? Cela passe par la perception, perception visuelle, mais aussi perception du temps et d’une certaine rythmicité.

Le mouvement régressif, un double mouvement de régression et de dépendances, observé dans l’évolution de la démence, s’entend comme un retour à des formes antérieures du développement psychique, ou des relations objectales. Le concept de régression dans la théorie psychanalytique, met en avant la question des modes de relation de conduites d’un niveau inférieur du point de vue formel, concernant l’idée de structure mentale car cela renvoie à des étapes antérieures parcourues par l’individu. La réflexion clinique se réfère essentiellement au point de vue temporel en référence aux temps d’organisation du développement psycho-sexuel infantile. S. Freud (1914) précise que les différentes formes de régression n’en font qu’une, à leur fondement, car «ce qui est plus ancien dans le temps est également primitif dans sa forme et, dans la topique psychique se situe plus près de l’extrémité perception». Dans Considérations sur la guerre et sur la mort, S. Freud ajoutait : «Les états primitifs peuvent toujours être restaurés. Le psychique primitif est, au sens plein, impérissable». La pratique soignante quotidienne nous confronte à des positions régressives.