6.1.1 Un cadre d’inspiration transitionnelle adapté à la pathologie démentielle

L’instauration de ce cadre « d’inspiration transitionnelle », en référence à l’analyse transitionnelle (R. Kaës, 1979), est ici une façon d’aider la personne démente à s’entendre parler de soi par l’intermédiaire d’un autre. Le travail de la mémoire est un exemple de l’importance de la présence de l’autre : la mémoire se crée/se retrouve en présence de quelqu’un, c’est-à-dire que l’investissement du thérapeute précède l’investissement du patient dans la relation.

Inspiration transitionnelle signifie ici, à la fois les références faites aux phénomènes transitionnels (D.W. Winnicott, 1951) et également à une méthode générale d’analyse transitionnelle, individuelle ou groupale, développée dans l’ouvrage de R. Kaës (1979). Dans notre approche de la clinique avec les sujets « déments », le dispositif de groupe constitue un espace transitionnel, pour rendre disponible les ressources actuelles du patient, en déposer quelque chose dans cet espace constitué, et retrouver un chez-soi (sa vie intérieure, son paysage intérieur) après un travail de remise en lien équivalent à un travail de couture de la continuité de sa vie psychique.

La réflexion, après coup, concernant la mise en place de ce dispositif, éclaire la dimension du lien, de la groupalité, de la présence physique et psychique du thérapeute. Cela signifie toute l’importance de la qualité d’écoute et de disponibilité interne chez le thérapeute, si difficile et si exigeante auprès de sujets âgés déments qui réveillent l’horreur de la castration devant une psyché qui se perd. C’est dire que le cadre d’inspiration transitionnelle devient la condition de l’analyse possible de ce qui se passe entre les participants du groupe, thérapeute compris. C’est le rétablissement du visible, du concret, du perceptif, les réactions en miroir et en écho, mais aussi les échanges de pensées et de sentiments qui viennent rétablir une sécurité narcissique de base essentielle, pour vivre un changement qui ne soit plus un « scénario catastrophe ».

C’est la relation « ici et maintenant » qui permet de rétablir, pour un temps, la limite dedans/dehors. Nous sommes proches du concept de « Moi-peau », développé par D. Anzieu (1974) en terme d’enveloppe psychique permettant de consolider la différence entre le réel et l’imaginaire, entre le dedans et le dehors. Voici ce que cet auteur nous dit concernant la constitution de ce Moi-peau : «Les patients qui relèvent de l’analyse transitionnelle ont un Moi-peau insuffisamment consistant, ajusté, continu, différencié et qui manque à remplir sa triple fonction d’enveloppe contenante et rassemblante, de barrière protectrice contre l’excès quantitatif d’excitations, et de filtre discriminant les diverses catégories de qualités sensibles. Pour que le Moi-peau se constitue, il faut que l’enfant rencontre dans les réactions de son environnement familial tantôt une imitation en miroir de ses sons et de ses actes (écholalies, échopraxies), tantôt une compréhension qui satisfasse ses besoins et apaise ses peurs, et qu’il trouve, principalement sur le visage de sa mère, un miroir et un écho de son amour, de son plaisir, de sa douleur, de son vécu sensoriel et émotionnel, de ses états psychiques naissants, miroir et écho qui lui permettent de se former, par appui sur ses perceptions tactiles, une enveloppe visuelle et une enveloppe sonore. Faute d’un Moi-peau effectif et efficace, le sujet se construit une armure musculaire, ou un faux-soi, ou une illusoire paroi idéale, ou une crypte, ou une suture idéologique pour protéger sa sensorialité et sa sensibilité à vif, mais au prix d’un colmatage qui risque d’être incessant ou d’un emmurement qui restera définitif….» (D. Anzieu, 1979).