6.1.2 La perte et la «perte de vue» dans l’approche de la démence

Nous souhaitons introduire ce chapitre par une citation de J. B. Pontalis, tirée de son livre la «perte de vue» (1988) : «Le plus insupportable dans la perte, serait-ce la perte de vue ? Annoncerait-elle, chez l’autre, l’absolu retrait d’amour et, en nous, l’inquiétude d’une infirmité foncière : ne plus être capable d’aimer l’invisible ? Il nous faudrait voir d’abord. Non pas voir seulement mais voir d’abord et toujours pouvoir calmer l’angoisse que suscite l’absence en nous assurant que l’objet aimé est tout entier à portée de notre regard et qu’il nous réfléchit dans notre identité…».

Le problème de la perte, et son corollaire la permanence de l’objet, comme question centrale dans la démence type Alzheimer, se manifeste par la question de l’objet manquant (objet interne) et comme perte de soi, perte en soi. Objet manquant « en train de se perdre » à cause de la démentification et peut-être également à cause d’un objet interne (chez-soi) insuffisamment constitué ?

Telle est la question que met en évidence mon observation au long cours de personnes âgées et diagnostiquées « démentes ». Regard, perception, figuration, réflexion, autant de notions qui nous attirent du côté du visuel et de l’image. Ma question de départ axée sur la réverbération m’a poussé à un travail d’observation du dehors vers le visible ( recherche ? identité de perception ?), vers un dedans au sens où la réverbération (comme un renversement ?) signifie que le risque est de se proposer comme (seul) modèle à imiter (par confusion entre l’objet externe et l’objet interne), ce qui nous renvoie à la question du contre-transfert qui signifie un sujet dément (qui) s’adresse à nous, à moi, comme il nous (me) perçoit.

Il y a, si on peut dire, un réfléchissement entre ces deux aspects : à savoir la réverbération et l’abord méthodologique qui consiste à penser un dispositif qui permette de rendre compte de la façon dont le sujet dément s’adresse à nous, pour accéder à sa vie psychique. Mais, nous avons accès à sa vie psychique par l’observation et l’analyse clinique.

Nous sommes là, je crois, au cœur du fonctionnement psychique du sujet dément, à savoir une différenciation pas toujours établie entre le travail associatif et le perçu. que l’on retrouve également dans le risque de confusion entre le « dedans et le dehors » qui permet l’accès à la condition et à la représentation de l’absence. Un travail de liaison, de raccordage est à faire entre la notion de réverbération et la façon dont le patient s’adresse à nous.

L’état psychique du patient oblige à une grande humilité pour l’interprétation du matériel clinique. L’autre question qui se pose est celle de la place dans l’économie défensive de ce mode de retournement : comment le dément s’adresse à nous ?