6.2.1 La dimension d’adresse et les niveaux de complexité

Les personnes rencontrées dans l’espace/temps de ces groupes modifient nos représentations de la démence ; ces personnes sont nommées, entendues et parlées de façon différente de celles rencontrées dans les lieux de vie. Pourtant, ce sont les mêmes personnes. La qualité du « matériel » recueilli n’est pas le même parce que l’état psychique est différent et parce que nous prenons en compte la dimensiond’adresse à l’autre. En ce sens, le modèle « d’interchangeabilité », à l’opposé de la « fonction d’adresse », n’est plus efficace dans le modèle de prise en soin individuelle ou en groupe. Cela interroge la manière dont on « se positionne » vis-à-vis du patient.

Une ligne de différenciation s’est précisée entre les interactions, sans adresse à l’autre (dans l’unité de vie) et les interactions (dans les groupes à médiation) où quelque chose est adressé à quelqu’un. La question du sujet qui recueille les observations est donc centrale au départ. L’observateur doit être nommé pour prendre en compte cette dimension d’adresse à l’autre. C’est dans le travail d’accompagnement psychothérapique que cette fonction d’adresse à l’autre pourra être reconnaissable ou pas. Chez le sujet dément, il y a une recherche de prise d’appui sur ce qui se passe autour ; la relance par l’affect a besoin d’un cadre pour permettre une analyse et un travail de conceptualisation. C’est l’exemple du passage de l’imitation (avec en écho la notion de réverbération) observée au quotidien, mais qui ressemble plus à une « transfusion psychique » qu’à une émergence stricte de la pensée. Le sens donné (moyen d’accès), possible passe par un cadre de penser et par la parole qui peut rendre compte d’une vie mentale et d’un travail identificatoire possible.

Nous pouvons maintenant refaire le lien avec la question de la névrose de transfert qui se pose dans un cadre institutionnel :

  • Soit nous pouvons « contenter » d’analyser toutes les problématiques sur le même plan, par une mise à plat en quelque sorte (modèle d’interchangeabilité)
  • Soit nous cherchons à interroger le matériel recueilli en fonction des niveaux de complexité. Si nous voulons comprendre et donner du sens à ce matériel, cela suppose de nommer et localiser l’observateur qui recueille le matériel, dans sa fonction et dans sa personnalité.

Ces niveaux de complexité correspondent, à mon sens à trois niveaux de complexité, différenciés ou non en fonction de notre représentation de la démence, du soin, et de notre position institutionnelle :

  • 1er niveau : biographie du patient. Les éléments sont recueillis en « dehors » du sujet
  • 2ème niveau : histoire du patient. Nous nous tournons vers l’histoire subjective des faits. Nous sommes davantage dans l’objet auto-biographique
  • 3ème niveau : c’est le seul niveau où l’interprétation est possible, a du sens, car elle se situe dans l’actuel de la psychothérapie individuelle ou de groupe. Ce troisième niveau correspond à la névrose de transfert.

Ces trois niveaux supposent un travail de différenciation et d’analyse de la complexité dans l’approche du patient dément en institution et des différents points de vue : groupal-institutionnel-individuel.

Ces trois niveaux correspondent à trois temps institutionnels :

  • 1er temps : la description du cadre global institutionnel dans ses liens avec le cadre thérapeutique. Mais si on en reste là, il s’agit d’une mise à plat
  • 2ème niveau : le travail d’élaboration clinique à partir des prises en soins des patients. Travail d’étude de cas
  • 3ème niveau : ce temps correspond au travail « d’écoute de l’écoute » du travail thérapeutique. Il est essentiel pour donner vie et sens aux productions mentales des patients. La création de ce troisième temps dépend de la capacité des acteurs de l’institution à modifier leurs dispositifs d’accueil, de vie, de soins et des interactions prises en compte ou non.