8. Revue de la pratique psychothérapeutique francophone

8.1 Quelques fils conducteurs

Ce chapitre est centré sur le rappel d’expériences psychothérapeutiques déjà publiées, concernant des pratiques individuelles ou en groupe, pour repérer les fils conducteurs, les différents éclairages sous différents angles de phénomènes communs. Il ne s’agit pas, ici, de faire un relevé exhaustif de la pratique francophone mais de passer par quelques portes d’entrée dans l’abord psychothérapeutique de la démence, selon les différents auteurs en lien direct avec une construction en regard de ma pratique psychothérapique.

De façon comparable aux pays anglo-saxons, l’idée d’un déficit irréversible marque cette entrée dans la connaissance de la maladie. Tout d’abord du fait des courants de recherche vers une connaissance biologique de la maladie avec pour objectif le repérage des causes et la découverte de thérapeutiques médicamenteuses, et le risque, déjà pointé dans notre travail, d’une centration sur la maladie plutôt que sur le malade, dans la mesure où sa souffrance actuelle, et ses capacités de la mettre en mots à voix haute, risque d’être « oubliées ». En même temps, le travail de psychothérapie suppose un certain nombre de ressources, aussi dans ce registre les troubles du langage verbal constituent une limite importante, même si le travail de psychothérapie ne se limite pas à cette question au sens strict.

L’autre question commune à l’ensemble des abords psychothérapeutiques est celle de l’évolution plus ou moins progressive et variable, de la démence, d’un individu à l’autre, et donc la question d’un suivi dans la durée. La psychothérapie d’une façon générale, mise sur le futur alors que la démence se présente comme progressivement irréversible.

Le renforcement des résistances à un travail de psychothérapie avec des sujets âgés déments est en lien également avec les représentations de la personne âgée en terme de pertes, de détérioration de l’image de soi, de l’estime de soi et de la question de la finitude et de la séparation définitive. Or, l’engagement dans un travail de psychothérapie demande du temps et mise, donc, sur l’avenir. C’est ainsi que je comprends mon souhait, dans l’institution, de vouloir gagner du temps en mettant en place un projet de soins pour les sujets déments. Cette dimension du temps nous inscrit et nous divise en même temps sur la question de ce qui résiste ou non à l’épreuve du temps. Qu’en est-il de l’estime de soi (narcissisme) ou de la mémoire telle quelle est définie de nos jours ? Cette question du rapport au temps est traitée de façon éclairante par J.M. Talpin (1996) dans son travail sur «l’institution en souffrance : les défenses et le temps».

Si une pratique psychothérapique existe depuis plusieurs années auprès des patients déments, les objectifs eux-mêmes essaient d’être décrits plus récemment, notamment avec la création d’un colloque européen sur la « psychothérapie des démences » depuis 1994. De ce point de vue, il s’agit d’une manière générale de « restituer au patient sa qualité de sujet » en particulier de réfléchir sur la question de la permanence du sujet, au delà des déficits cognitifs constatés, davantage dans le registre du désir et de l’affect.

Les prises en compte des conséquences de l’évolution dans la démence ont amené les différents auteurs à questionner cette affection en terme de»psycholyse», de «démentalisation», «d’élaboration du traumatisme», sans oublier la réalité de la détérioration progressive de la maladie qui influence grandement le courant transférentiel. La place ou le rôle du déficit étudié, au sens du déclin inéluctable dans le vieillissement, est encore en question à l’heure actuelle et les débats sont nombreux. Le déclin corporel est cependant une observation généralisable. Les représentations liées aux différentes études du vieillissement prennent insuffisamment en compte la question de l’adaptation du sujet aux modifications externes et internes de son environnement et, donc, de la complexité de l’appareil psychique.

La démence, comme pathologie mentale, occupe une place prépondérante dans les représentations que nous pouvons avoir du vieillissement, dans la mesure où la démence «reste donc certainement une voie finale commune à de nombreux troubles psychopathologiques» (J.F. Tessier, J.M. Léger, 1987) et alimente le constat que la vie du sujet âgé doit se construire dans le contexte d’une dépendance évolutive.

Les travaux de ces vingt cinq dernières années concernant une approche psycho-dynamique et psychothérapeutique de la démence montrent un recentrage sur ce qui nous organise comme être humain, à savoir la question du lien et celle de la place de chacun (chaque un) parmi les autres. La question de l’identité, en terme d’identification et aussi de s’identifier, concerne la conscience que le sujet a de lui-même comme être unique. Cette question a été très tôt abordée par C. Balier (1976) sous l’angle de la dépression et d’un travail de deuil mal élaboré. D’autres auteurs parlent de crise d’identité (A. Agniel et coll., 1979) qui concerne trois facettes du Moi : «le Moi corporel, le Moi psychique objet de relation, et le Moi social objet des relations d’idéaux dans le groupe d’appartenance». G.Le Gouès (1985) sous l’angle du narcissisme, analyse la question de la perte en terme de «perte du Soi, de perte d’objet et de perte de fonction».