8.2.1 Démence, identité et traumatisme

La psychothérapie, comme projet de soin psychique pour le sujet âgé dément, en dehors de l’axe strictement développemental de l’identité, questionne le rapport dialectique de l’identité comme processus. Rappelons, ici, que la psychanalyse définit la notion d’identification comme la première forme de lien affectif à l’objet, et c’est également un processus de communication affectif entre un individu et un groupe. Les différents « constats » dans la rencontre au quotidien avec ces patients montrent qu’une vie psychique existe, persiste au delà de l’apparente « mort psychique », un peu comme si la vie vient et repart en laissant des images angoissantes d’inquiétante/étrangeté et d’inquiétante/familiarité en même temps. La confrontation à la question de l’angoisse et de la solitude est également posée dans la rencontre avec ces patients ; cette pathologie nous confronte en même temps à des sujets « morts » et à des sujets « vivants ». Il s’agit de l’évocation quelquefois cacophonique de morts tragiquement vécues induisant en une seconde des sauts dans le temps, à la mesure de ces sauts de génération en génération de deuils transmis non-élaborés.

Les différents aspects soulignés du rôle et de l’importance des interrelations, dans la pratique psychothérapeutique, sont en accord avec une conception du fonctionnement psychique et des représentations des troubles psychiques dans la démence. Le dispositif psychothérapeutique constitue, dans le travail avec les sujets déments, une sécurité suffisamment solide pour « travailler » les zones de fragilité identitaire et la présence de plusieurs « autres » va dans le sens d’une consolidation de l’image de soi du dedans.

Dans mon expérience en situation de groupe avec les sujets déments, la notion d’interrelation éclaire la nécessité d’un travail au dedans de soi pour « reprendre » les différentes identités au dehors, et définit ce qui se constitue/s’organise dans cet appui identifiant. Le travail en situation de groupe se fait à partir de la relance de l’identité de perception, et plus généralement sur l’idée de la présence et sur le mode de présence de l’objet. Globalement, nous dirons ici que notre dispositif comprend les différentes médiations utilisées, la présence d’un observateur sont autant d’éléments perceptifs qui donnent une certaine forme et une certaine consistance aux paroles qui sont échangées.

Cette conception méthodologique du dispositif est aussi une manière de se représenter la disparition progressive de la capacité de représentation du sujet dément, associée à une non permanence de l’objet. Il y a là un lien avec la question de la « position dépressive » (cf. le chapitre 6.4) comme point de butée, chez le sujet dément qui fait supposer devoir repasser par la présence de l’objet pour nommer et symboliser l’absence, l’objet perdu et le travail de deuil. Comment aider quelqu’un à faire un travail de deuil quand celui-ci est impossible à faire ? C’est à sa manière que le sujet dément nous adresse cette équation, «équation mortelle» (A. Sagne, 1996), que l’on retrouve sous la forme : si je perds la mémoire (alors) je me perds.

La plupart des auteurs s’accordent pour dire que la clinique de la démence est celle d’un travail de deuil impossible (M. Myslinski, 2000). Récemment (colloque psychothérapies des démences, 2000), les différentes « pratiques en recherche » ont orienté les réflexions autour de la question des traumatismes. Il est en effet question des traumatismes au pluriel pour montrer à la fois plusieurs approches et également pour souligner sans doute les effets des deuils du passé cumulés à ceux du présent.

Les auteurs qui abordent cette question du traumatisme dans la démence s’inscrivent également dans des référentiels théoriques psychanalytiques différents. Ces abords font un détour par S. Freud, par M. Klein, par J. Lacan, par D.W. Winnicott, dans un travail de conceptualisation du traumatisme ou pour enrichir la pratique psychothérapique, ou pour proposer des hypothèses sur l’origine traumatique de la démence. Nous partageons ici la définition que nous donne P.M. Charazac (2000) du traumatisme : «Dans sa conception actuelle, le traumatisme désigne un fonctionnement de détresse du moi impliquant d’une part son immaturité ou sa détérioration, d’autre part un excès ou un défaut de stimulation venant de l’environnement. L’effet du changement d’environnement pour un dément illustre l’action traumatique ou anti-traumatique de l’entourage».