8.5.2 histoire de vie et après coup

Les modèles centrés sur les événements de vie sont dans une démarche de recherche hypothético-déductive en terme de causes (le passé) et de conséquences (le présent). Le modèle des événements de vie s’intéresse en particulier aux capacités d’adaptation de la personne âgée (notion de coping) en s’appuyant sur un travail de ré-évaluation du passé. Les recherches de P. Cappeliez (1996) concernant la psychothérapie cognitive de la personne âgée dépressive, se sont orientées théoriquement et cliniquement sur la « rétrospective de vie » comme «modalité de traitement pour la dépression de personnes âgées». Dans son travail, cet auteur met en évidence la notion de mémoire autobiographique sous forme de rappel de souvenirs personnels comme élément de recherche à articuler au cognitif et à l’émotion. Il s’agit donc d’un retour sur le passé de la personne âgée, étayé par des thèmes annoncés à l’avance et choisis par le thérapeute.

L’état des recherches d’un certain nombre d’auteurs, fait un lien explicite entre les situations traumatiques anciennes ou plus récentes, et l’apparition de troubles démentiels, au moment du «travail du vieillir», à l’épreuve du temps et de la mort à venir. (M. Peruchon, 1996 ; M. Myslinski, 1997 ; P.M. Charazac, 1999 ; J.P. Clément, 1999). Est-il possible de transposer et d’articuler le modèle de l’histoire de vie au modèle de l’après-coup dans la problématique de la démence considérée sous l’angle du traumatisme ? P. Cappeliez (1996) souligne l’importance de «la fonction de rappel du passé qui évoluerait au cours de la vie» alors que les «aspects de la consolidation de l’identité et d’unification devenant probablement plus saillants dans un bilan de vie à l’âge adulte avancé». Cet auteur fait ainsi le lien avec l’idée du «bilan de vie» (J. Gaucher, 1996).

L’intérêt est d’essayer de comprendre les rapports entre les différentes notions. La mise en lien peut être de nature théorique comme je l’ai dit plus haut, et la question s’est posée au plan clinique : le sujet dément est-il capable de faire un récit de son passé. Là encore, faire le récit de son histoire suppose de le faire en présence de quelqu’un. La stratégie mise en avant dans l’histoire de vie s’appuie sur les capacités d’auto-représentation de soi de la personne qui améliore ainsi son sentiment d’estime de soi.

Le modèle psychanalytique, avec le concept d’après-coup, montre qu’il y a des effets dans la psyché, et ses effets sont en partie visibles et en partie invisibles. Il s’agit d’un modèle de la reconstruction : répéter/remémorer/perlaborer. Il est nécessaire en même temps de penser les différents niveaux, les différents espaces psychiques conscient/préconscient/inconscient, et également la prise en compte de la notion de temporalité et de répétition. Le modèle de l’après coup mobilise les effets traumatiques et produit les conditions de réouverture de l’espace de penser. Nous sommes à l’opposé du modèle dégénératif de la démence, qui met l’accent aujourd’hui sur l’hérédité. Pour faire contrepoint à ce modèle dégénératif, nous sommes tentés de parler de traumatisme avant-coup, comme traumatisme antérieur et correspondant à des antécédents relationnels et événementiels. La vieillesse, selon G. Le Gouès (1991) est marquée par des remaniements affectifs et pulsionnels, des phénomènes régressifs, qui remettent en question l’être identitaire. Le sujet est confronté à la reviviscence d’expériences traumatiques, non élaborées, mais sans dégagement possible, excepté l’oubli. Cette forme d’oubli s’apparente-t-elle à la voie du désengagement ?

La notion de traumatisme, avant coup, illustrerait à la fois l’incapacité (par retrait de l’expérience actuelle) d’un sujet qui souffre de troubles de mémoire et le reflet de l’adaptation de ce sujet à ses troubles en regard de son environnement. La prise en compte de l’après coup serait-il à la charge de l’environnement pour faire la connexion que le sujet dément n’est plus en mesure de faire seul, du fait de la détérioration cognitive ? Un après coup par procuration, via l’environnement, est ce possible ? Dans un groupe, en créant des conditions de type transitionnel, peut-on aider l’individu à réintégrer ces éléments traumatiques dans sa réalité interne ?