10. 2 Dépendance et identité spéculaire

Le titre de ce chapitre souhaite mettre en évidence le lien dynamique entre la notion de dépendance et celle d’identité spéculaire. La notion de dépendance est en lien également avec la question de la régression et avec l’idée d’adaptation.

La situation de crise et particulièrement dans le cas d’un diagnostic de démence débutante réveille une situation de dépendance. Cette dépendance psychique ré-instaurée est-elle une constance comme équivalent d’une phase d’adaptation ré-organisatrice, ou alors le signe d’une régression individuelle faisant elle-même écho à une immaturité antérieure ? Existe-t-il une relation en miroir entre l’enfant (dans son développement) et le vieillard (dans son adaptation) dans le sens du rôle joué par la notion de dépendance ?

C’est dans le contexte de crise que prend sens cette notion de dépendance. Le moment d’entrée en institution est à ce titre un exemple intéressant car il montre un double mouvement paradoxal où l’on observe d’une part une demande de reconstruction des liens de dépendance et d’autre part la réponse de l’entourage agie sous la forme du placement. Cet abord de la notion de dépendance est à rapprocher des concepts d’attachement et d’étayage et en particulier l’idée dynamique dans les différents aspects de réciprocité liée à cette notion. La situation de crise montre bien les aspects d’emboîtements réciproques des différents niveaux familial, interpersonnel et intra-individuel de la dépendance. Dans un article intitulé «travail de restauration d’un espace mental» (A. Sagne et al., 1996) nous avons mis en évidence, dans le contexte d’un hôpital de jour, l’importance d’instaurer une dépendance illusoire au sens d’une aire d’illusion pour mobiliser ce qui est là en souffrance en se prêtant comme « objet vivant » pour aider le patient à contenir puis investir les bribes de pensée, les affects et retrouver une différenciation dedans/dehors, externe/interne. L’expérience d’un groupe de soutien aux familles, dans le cadre hospitalier, montre que le concept de dépendance apparaît comme une empreinte, comme une constante, et spécifique selon la structuration de chaque groupe familial. Le cadre de référence est le dispositif groupal comme cadre de la rencontre et a pour objectif principal le soutien identitaire du groupe familial. Dans le cadre de ce travail nous avons noté que cette spécificité se rejoue dans trois types de questionnement (A. Sagne et al., article à paraître sur l’expérience d’un groupe de soutien aux familles et la notion de prisme inter-relationnel, 2000) :

La dépendance est à entendre en terme de lien et renvoie à la question des relations précoces comme elle s’actualise aussi dans la relation au sujet dément traduit par les contenus des échanges et par ce qui nous a constitué en terme de structuration psychique et qui perdure sous forme d’empreinte. La démence comme prototype de la situation de dépendance appelle cette notion d’étayage dans un contexte de fragilité narcissique et dans une position régressive, régression dont il est nécessaire d’entendre les aspects positifs pour le sujet. Il se (re)présente ainsi un axe dépendance/indépendance qui se polarise sur l’ambivalence des sentiments d’amour et de haine. Le «travail du vieillir» comme mise en crise de la personne démente et de son environnement familial fait retour sur les conditions de maturation affective du développement de l’enfance. Les conséquences de la démence sur le groupe familial en terme de régression, réactivent/rappellent la structure « individu-environnement » en terme d’unité (DW. Winnicott, 1945). Cela implique un « moi » qui commence à être indépendant du moi auxiliaire de la mère, et indique la différenciation entre un intérieur et un extérieur et la réalité psychique devient une chose réelle, éprouvée par la personne. Selon DW. Winnicott cela implique la réussite de l’ambivalence et cela conduit ensuite à l’apparition de la «sollicitude». Cette réalité s’exprime également en terme de vie « psychosomatique » remise en question dans la démence par les troubles de l’orientation temporelle et spatiale (désintégration du temps), des comportements d’hyper-sollicitude des enfants du parent âgé déficitaire, des tendances fusionnelles, hyperprotrectrices (centrées sur la nourriture par exemple, avec la mise en évidence d’une ambivalence entre le discours et le comportement).

Ces manifestations régressives plus ou moins profondes entraînent une mise en suspens de la capacité de penser voire de percevoir les éléments affectifs dans la communication enfant-parent. Cela concerne la relation du couple enfant-parent et l’ensemble du groupe familial, qui met en évidence des aspects spéculaires avec l’enfance en ce qui concerne les mécanismes de l’axe dépendance/indépendance et qui sont sources de réflexion sur des propositions de prévention.