TROISIEME PARTIE :
De la psycholyse à la démence de défense

Il s’agit d’établir des ponts entre la clinique et la théorie qui nous aide à aider le patient à faire un transfert sur la pensée :

Le passage à un dispositif de groupe a représenté, pour moi, une méthode pour être au R.D.V. de la rencontre avec les sujets âgés déments. Dans le travail de psychothérapie individuelle ou groupale, nous nous appuyons sur la médiation de la parole, la qualité des échanges verbaux, pour exprimer des émotions et dire ce que font vivre les interrelations. La situation d’un groupe de sujets atteints de démence ne permet pas de tenir compte uniquement des échanges verbaux et, de façon plus large il est nécessaire de comprendre le langage avec des mots mais aussi avec des comportements. L’activité de pensée, dans ce type de groupe, ne peut être restreinte au seul langage verbal. Mais au delà de la particularité de la pathologie démentielle, la dimension groupale limite l’activité de parole, puisqu’un seul parle dans le groupe et ce à tour de rôle, alors que la démence nous confronte plutôt au registre du « à tour de sans rôle ».

Les enjeux du soin psychothérapeutique en institution réactivent des interrogations quant aux représentations de chacun concernant, la pathologie, la démence et la personne dont le diagnostic de démence a représenté l’origine du placement. Pour certaines familles, la décision d’entrée en institution est le support d’un travail de séparation possible ou non. Ces interrogations convergent vers la question de l’identité/perte d’identité de soi, de la mémoire et de son groupe d’appartenance. Ces interrogations se juxtaposent en partie avec les théories de référence de chacun et de l’ensemble dans une institution.

Dans mon travail de D.E.A. (1996), cela m’a amené à parler d’un clivage fonctionnel (pour protéger de l’idée d’une mort psychique « déjà là » dans la démence « institutionnalisée ») comme nécessaire pour penser un minimum d’espace de différenciation entre le groupement référencé au lieu de vie et le travail de groupe dans le projet de prise en soins. La question de la distance psychique est une question centrale dans cet abord. C’est aussi une des questions répétitivement abordée dans le travail d’analyse de la pratique soignante.

L’abord d’un travail de recherche par la question du contre-transfert ne va pas de soi, si nous parlons ici du domaine de la pratique des savoirs. Il s’opère inéluctablement (?) un travail de déplacement de la pratique psychothérapeutique d’inspiration psychanalytique vers le travail de réflexion théorique.

Dans différents domaines clinico-théoriques (cf. G. Devereux, 1980), les chercheurs témoignent de leur propre expérience (place du contre-transfert) qu’ils intègrent à leur cadre d’observation, plus précisément l’expérience de l’analyse modifie ma perception des dispositifs d’observation et mon rapport au travail de recherche (place de l’inconscient).

L’interrogation identitaire, comme enjeu dans la démence et qui renvoie au fondement de la construction psychique, questionne le chemin parcouru : celui du futur chercheur et celui du sujet dément avec qui nous essayons de reconstruire le chemin parcouru dans la psychothérapie. L’essai d’un travail de conceptualisation à partir de l’expérience de la pratique psychothérapeutique met en évidence la reconnaissance de l’intersubjectivité comme apte à faire progresser la connaissance et la pratique de la psychothérapie, comme fondement du lien, comme création du lien, comme appel à un accordage avec d’autres disciplines en situation d’interaction dans cette pathologie des liens que représente la démence.

Un travail d’écoute familiale se soutient de la mémoire affective en tant que stimulation de l’environnement interne du patient. C’est ce qui fait débat aujourd’hui sur la question des systèmes cognitifs et affectifs, de leur inter-dépendance ou au contraire de leur indépendance respective. Dans cet ordre d’idées l’affectif précèderait-il le cognitif ou bien l’inverse, et quelle serait la part de l’affectif dans le traitement de l’information, au même titre que les notions d’encodage, de stockage et de restitution. D’autre part, se pose la question de l’unité du psychisme qui suppose la mise en relation du système émotionnel avec le fonctionnement cognitif de la personne.

Les différents temps de rencontres avec les personnes démentes dans divers lieux de vie et de soin, en établissement de long séjour ou en hôpital de jour, ont encouragé la réflexion sur les ponts à établir au niveau d’un appareil de liaison entre la création de soi et la rencontre à l’autre. Dans la démence, j’ai été confronté à un besoin de « ré-accordage » entre le psychique et le corporel, entre la perception et la représentation, entre un appareil psychique construit et un appareil psychique qui est en train de se déconstruire. Le suivi des patients déments au long cours modifie notre représentation de la maladie ; L’abord par l’approche contre-transférentielle correspond à une mise au travail des processus associatifs, et correspond aussi à une écoute de type groupal-familial, y compris dans la situation de face à face.

L’axe « permanence-changement » s’applique à tout changement significatif, comme événement significatif pour la personne, et crée les conditions d’un travail de séparation -au sens d’un travail qui vise à l’acceptation et à l’intégration du changement- qui s’inscrit dans le continuum de l’existence. Traiter le changement de façon productive, élaborative, suppose une confrontation à l’inconnu pour être prêt à poursuivre la quête de soi. Sur ce mode paradoxal, nous pouvons dire que changer c’est devenir soi-même. Ce travail psychique d’adaptation du Moi à la réalité, interne et externe, est dépendant de la solidité des défenses par l’actualisation des défenses antérieures anti-dépressives, anti-changement, anti-deuil. Si le retrait de la réalité est massif, on assiste à une augmentation du potentiel de destruction-déliaison. Si le sujet reste capable de s’impliquer dans des relations créatrices, à valeur positive, on assiste à une augmentation du potentiel constructif de liaison et peut être, alors, comparé aux différentes étapes décrites par E. Kübler-Ross, en particulier la dernière étape qu’elle nomme «l’acceptation» (adaptation) qui est un mouvement psychique positif qui passe par «l’augmentation de la conscience de Soi et des contacts avec autrui».

Ce qui nous a entraîné vers un essai de compréhension et d’articulation entre la conscience des troubles, la conscience de soi et les mécanismes de défense mis en place par le sujet pour retrouver une cohérence psychique. La psychothérapie travaille sur cette recherche de cohérence entre la conscience de la réalité du déficit et de la souffrance, ainsi que la capacité ou non de se prendre pour objet en présence de quelqu’un. Maintenir un espace d’illusion à ce niveau, c’est permettre au sujet dément de renouer la communication avec sa réalité interne.