11. Apports de la démence au groupe

Ce chapitre reprend la description du cheminement avec les patients en terme de thérapie à trois temps ainsi qu’une des hypothèses importantes posée en terme de constitution de soi (objet soi) et de mémoire : la mémoire vient/revient en présence de quelqu’un. L’approche de l’objet appréhendé dans le contexte de la relation d’objet du point de vue de la démence montre que l’objet de la réalité extérieure (objet réel, physique) et l’objet de la réalité interne (objet plaisir/déplaisir) est un élément variable en fonction de la relation.

La retrouvaille du sujet avec lui-même passe par une voie qui est celle du détruit/troué vers le détruit/retrouvé quand les conditions d’observation/écoute permettent de se rendre compte que le patient nous observe autant que nous l’observons. C’est donc la question du lien, de la relation/interrelation qui est l’axe central et en ce sens cela rejoint la problématique générale de la psychothérapie de la personne âgée. Dans le travail de recherche sur le thème de la liaison/dé liaison dans la démence, comment s’articule et se spécifie une approche qui permette d’interroger les liens intra-individuels avec les liens inter-subjectifs ? Nos observations nous amène à supposer que la pensée du sujet dément se crée seulement quand elle s’adresse à l’autre. L’objet se présente comme à la fois externe et interne du fait d’une focalisation sur la restitution d’une subjectivité ; l’interrogation des patients reste centrée sur la protection de soi qui est au cœur de la question identitaire attachée à celle du lien puisque nous en observons les effets sur la personne elle-même, sur son entourage familial et sur l’environnement soignant.

La question de la réverbération doit être ici reprise par rapport à cette question de la création de quelque chose de nouveau. Le patient dément dans un groupe a-t-il plus de capacité de différenciation que dans la rencontre individuelle ? Les médiations mises en place sont une porte ouverte, une porte d’accès à la différenciation en réanimant la question d’une présence et d’une fonction d’adresse à l’autre. Est-ce suffisant pour permettre un travail de symbolisation de la souffrance ? Comment passer d’une pratique de séparation à une pratique de différenciation ? Le dispositif crée dans un espace groupal est-il suffisant ? Le paysage intérieur comme trace est aussi une fonction d’adresse à l’autre et la mise en mots comme une étape de la symbolisation. La mise en mots, la parole fonctionne comme intermédiaire entre patient et soignant jusqu’à une certaine étape de l’utilisation du langage verbal chez le patient Au delà de cette étape l’agir et la trace deviennent nécessaires du fait de la perte de représentation et des atteintes cognitives. Parfois même l’objet n’est plus animé (lorsque le patient boit l’eau de la peinture ou mange la terre) et le soignant devient l’objet médiateur (objet malléable).

C’est le patient qui nous apprend le «métier» de patient : dans un travail d’investissement centré sur l’intersubjectivité ; le cadre psychothérapeutique me paraît être le plus pertinent pour connaître l’expérience propre du patient face à la maladie, c’est-à-dire la façon dont le patient nous renseigne sur son monde intérieur et sur les néo-productions mentales mais qui semblent correspondre à un effort d’adaptation à la maladie et à ce nouvel environnement. Ces néo-productions ont été mises en évidence par G. Le Gouès et publiées avec M. Perruchon (1992) sous le terme de «pensées post figuratives» indiquant par là un fonctionnement psychique en deçà de la représentation et même de tout représentant. Ces néo-productions pourraient correspondre à une pensée primitive au sens d’une pensée proche du corporel et de l’affect. C’est ce que nous observons dans les séances de groupe avec les patients à un stade avancé de la maladie et qui ont perdu l’usage du langage verbal. Le travail psychique passe par l’affect et concerne l’activité du pré-conscient.

Le lien ou plus exactement le point de bascule entre le groupe et le sujet dément interroge l’identification depuis l’imitation (miroir, réverbération, écholalie, reproduction du même) jusqu’à la capacité d’une vie relationnelle plus riche avec l’émergence d’une différenciation individuelle. La question du double que pose le sujet dément se prête à une démarche groupale autant qu’une présence multiple renvoie à l’idée du groupe comme avènement primaire. La démence comme limite à l’intégration dans un groupe, restant en bordure, sert à préciser la fonction du groupe dans le développement individuel occupée par les mécanismes d’identification.