12. La notion de prisme

La démence impose une démarche de retour sur soi, ne serait-ce qu’en raison du risque de répétition ou même de chronicisation, voire de fixation dans une certaine stéréotypie. Cela est vrai pour les individus et également pour une institution : pour comprendre ce qui se passe au présent, il est nécessaire d’interroger le passé. Cette expérience (à travers la mise en place des groupes à visée psychothérapeutique) est difficile, car elle est chargée d’affects et de significations inconscientes (zones d’ombres), ce qui donne lieu à la fois à une certaine complémentarité (en terme de réaménagement de l’investissement des patients dans leur lieu de vie) et aussi à des contradictions, du fait des liens de recouvrement partiel entre le temps de vie et le temps de psychothérapie, entre les personnes engagés du côté de la réalité et ceux immergés dans la vie psychique, le monde interne et la régression des patients. L’organisation du fonctionnement de l’hôpital de jour par exemple doit traiter les différents espaces de complémentarité et de contradiction (place du somatique, du psychique, projet dominé à certains moments par différents objectifs) auxquels s’ajoute la réalité du « retour à domicile » et des liens avec la famille du patient (famille/patient/soignants). Le cadre institution et le cadre de la psychothérapie individuelle ou en groupe, constituent des lieux contenants. Mais l’accueil et le soin de sujets diagnostiqués déments produisent un état critique ou crisique autant sur le plan narcissique que sur le plan identificatoire, qui interroge à nouveau le stade du miroir et peut-être un nouveau rapport aux miroirs.

Ces quelques rappels marquent les aspects de complémentarité et de contradictions dans le mouvement même que réverbère la démence sur les différents intervenants, sur son environnement. Il s’agit aussi de délimiter la part de la psychothérapie dans un lieu de vie pour le service de long séjour et en particulier pour les unités de vie nommées « cantou » . En ce sens, la complémentarité des différents espaces ouvre sur un espace intermédiaire, une zone transitionnelle, où le patient peut expérimenter sans se sentir menacé (sentiment d’étrangeté), sans se sentir en danger (image du corps et image de soi modifiée), les différentes perceptions, découvertes, monde interne et monde externe.

Dans ce mouvement même, le travail psychothérapeutique avec le sujet dément, est une entreprise qui sollicite beaucoup les capacités à supporter les identifications (identification projective) comme autant de « projectiles » comparables aux éléments béta décrits par W. R Bion. La théorie de cet auteur, part de la description de la relation mère-enfant et peut être facilement transposée, métaphoriquement, à ce qui est en jeu dans la relation du dément avec son psychothérapeute. Cet auteur distingue trois temps dans ce travail psychothérapeutique pour comprendre comment le patient s’étaye sur le soin.

Il s’agit au fond d’un mouvement en spirale amorcé par le rapport aux objets médiateurs, repris sous forme d’une interprétation-explication dans le registre du système perception-conscience puis en étayage sur les autres, le groupe, la prise en compte des mouvements associatifs dans le but de relance du système préconscient. Ce mouvement dans la continuité entre la perception externe et la perception interne via l’autre permet une circulation (bobine de groupe comme relance de la bobine individuelle) entre les systèmes. C’est proche ici de ce que S. Freud a décrit dans la métaphore du «bloc magique» et du système perception conscience dans la première topique.