14.4 Miroir démentifiant : l’anté-miroir ?

En travaillant sur la distance, sur le miroir et sur la peinture de son paysage intérieur, nous travaillons sur l’ombre du corps c’est-à-dire sur une projection de ce corps en dessinant les contours au préalable. Cette ombre est constituée de mémoires et d’affects et forme l’image de ce corps. Cette ombre véhicule l’identité de soi, l’image du corps aussi bien dans le groupe peinture que dans le groupe corps et esthétique pour reprendre sous la forme d’empreintes permettant une expérience de va et vient entre une activité centrée sur le tactile et un autre temps centré sur l’image d’ombre (cf. chapitre 9).

L’hypothèse de travail d’une démence de défense que l’on rencontre à nouveau dans les situations de fin de vie, d’accompagnement d’un travail psychique en référence à la notion d’objet clé (De M’Uzan, 1976), est une façon de montrer ce qui n’a pu être nommé de l’histoire intersubjective. Les différents rapports aux miroirs correspondent à ces interactions comportementales et aussi fantasmatiques et se construisent à la manière d’un échafaudage. La théorisation de l’étayage par la mère, par le groupe donne également un rôle privilégié aux anticipations et à sa capacité de pare-excitation. Il y a là un lien avec la théorisation des contenants de pensée.

L’Anté-miroir serait-il l’équivalent (en terme d’image du corps) de la «pensée post-figurative» développée par G. Le Gouès et M. Perruchon, par rapport à la perte de la représentation ? S’agit-il d’une image du corps perdue/retrouvée qui revient grâce au travail de réintégration de l’image de soi dans le moi ? Est-ce une manière d’essayer de s’adapter à la réalité actuelle des trous de la pensée ?

L’anté-miroir nous évoque encore la tentative de renouer avec le support de la mémoire affective familiale et se présente-t-il comme l’étape nécessaire à la mise en forme des données sur soi ?

Nous pouvons nous figurer ce premier miroir comme le temps de passage de la fonction copie, imitation/perception à la représentation de soi-même qui définit un rôle et une place. Le parcours des groupes permet de travailler sur le modèle de la copie, de la trace perceptive et de le représenter grâce au plaisir échangé dans la rencontre. Le travail du groupe relance la question identitaire car le sujet peut se créer dans ses relations intersubjectives et par l’expérimentation grâce aux médiations. La fonction réflexive des différents miroirs proposés dans les groupes permet de se remettre en scène soi-même en présence des autres. L’autre me montre ce que je peux ou ne peux pas voir de moi grâce à des indices perceptifs.

Le groupe offre un cadre au travail du miroir avec les sujets déments. Il permet de redonner un contenu à l’enveloppe corporelle puis psychique. Il permet de sortir de l’ombre (n’être que l’ombre de soi-même) à l’image d’un patient qui me disait : «je m’appelle personne» et qui a pu se regarder à nouveau dans le miroir en compagnie d’un autre.