Les buts de la neuroscience cognitive

Les buts de la neuroscience cognitive sont ambitieux. La vue classique est que ‘« Cognitive neuroscience studies are beginning the task of integrating questions of human cognition from neurons through behavior’ » (Posner & DiGirolamo, 2000, p.881). En effet, un des objectifs principaux de la neuroscience cognitive est de lier les différents niveaux d’analyse, comme cela est défendu par Tooby et Cosmides (2000, p.1167) lorsqu’ils expliquent que « ‘the task of cognitive neuroscience is to map the information-processing structure of the human mind and to discover how this computational organization is implemented in the physical organization of the brain. ’ » Plus précisément, il nous semble qu’un défi pour la neuroscience cognitive est d’approcher le système cognitif en étudiant les mécanismes cognitifs et leurs interactions de façon biologiquement plausible dans le but d’élaborer des modèles computationnels. La notion de « plausibilité biologique » signifie que l’élaboration d’un modèle cognitif est contraint par les connaissances concernant le système nerveux. Ceci implique que les modèles qui ne prennent en considération que l’aspect fonctionnel ou que l’aspect cérébral ne sont pas des produits de la neuroscience cognitive. La notion de « modèle computationnel » fait référence au fait qu’une procédure efficace d’élaboration de modèle est d’effectuer une analyse computationnelle, c’est-à-dire une analyse logique des qualités requises par un système pour effectuer une tâche donnée (voir Koenig, 1998 ; Koenig & Michelon, 1999). Précisément, il est possible de définir cette analyse, dans le cadre de la neuroscience cognitive, comme « ‘a logical exercise aimed at determining what processing subsystems are necessary to produce a specific behavior, given specific input’  » (Kosslyn & Koenig, 1995, p.41).

Ainsi, les contraintes computationnelles et biologiques impliquent que le but de la neuroscience cognitive n’est pas de construire n’importe quel modèle pouvant efficacement simuler un ensemble de comportements particuliers mais de construire un modèle cognitif compatible tout à la fois avec les données d’expériences comportementales, d’expériences de simulations et de données sur le fonctionnement cérébral. Adopter une telle perspective offre au moins deux avantages.

En premier lieu, un modèle contraint biologiquement et computationnellement permet de tester des hypothèses concernant le système cognitif normal. Ainsi, théoriquement, un tel modèle n’est pas seulement une figure explicite qui décrit l’état de l’art des connaissances concernant certains systèmes cognitifs mais constitue également un outil qui peut conduire à poser de nouvelles hypothèses sur la cognition naturelle. Si un modèle computationnel est suffisamment explicite, alors il peut permettre de programmer des modèles informatiques qui simulent les opérations effectuées par les sous-systèmes. Par conséquent, ces modèles aspirent à être implémentés notamment grâce à l’utilisation de réseaux de neurones artificiels ou d’agents autonomes. Comme le note Cañamero (2001, p.527), ‘« autonomous agents provide an excellent testbed to study the nature and adaptative value of emotions, with a synthetic value that nicely complements analytic studies of natural emotions’ ».

En second lieu, les modèles computationnels inspirés de la cognition naturelle développés en neuroscience cognitive peuvent permettre de construire des systèmes artificiels plus performants. En effet, les organismes naturels résolvent les problèmes d’une façon qui peut représenter une source d’inspiration puissante. Une telle inspiration a, par exemple, permis l’apparition des réseaux de neurones artificiels dans le domaine de l’intelligence artificielle. Un principe fondamental qui sous-tend l’attrait de l’intelligence artificielle pour la cognition naturelle est que les artéfacts qui simulent un mécanisme naturel devraient permettre de résoudre les mêmes problèmes que ceux que résolvent les mécanismes naturels. Puisque les systèmes naturels ne sont pas optimisés pour de nombreuses tâches, il est possible d’améliorer les systèmes artificiels d’inspiration naturelle : l’évolution des espèces n’est pas achevée et il existe de multiples alternatives que peut choisir un système artificiel pour être plus efficace que l’homme moderne. Par exemple, la procédure par laquelle un ordinateur calcule le résultat de la multiplication « 234x452 » est plus rapide et probablement plus précise que la procédure que nous utilisons manuellement. Il n’aurait pas été judicieux d’attendre de savoir comment le cerveau humain calcule, ce que la communauté scientifique commence seulement à comprendre (voir Dehaene et al., 1999), avant de construire le premier calculateur. Avec cette perspective, il a été proposé qu’une méthode pour résoudre le problème de la « complexité des émotions » serait de créer des artefacts qui expriment des émotions reconnaissables, sans considérer la façon dont ces émotions sont élaborées (voir pour discussion, Cañamero, 2001). Mais, la neuroscience cognitive ne se résigne pas à accepter ce type de modèle d’obédience béhavioriste qui a une visée de modélisation se situant aux niveaux de l’entrée et de la sortie, mais pas au niveau représentationnel. Dans le but de modéliser le niveau représentationnel sous la forme d’une architecture fonctionnelle, la neuroscience cognitive pratique le « dissectionnisme fonctionnel » sur la base d’informations provenant de diverses méthodes qui sont présentées ci-après.