L’esprit se réchauffe

Depuis les années 1950, les cogniticiens sont longtemps restés dans une optique écartant les émotions de leurs intérêts. Leur mode classique de pensée, profondément ancré dans un cartésianisme scientifiquement correct, les conduisait à concevoir le système cognitif comme l’incarnation d’un engrenage qui avait la température de ses mécanismes : le sang froid de la raison. Jusqu’à la fin des années 1980, pour des raisons que nous développerons dans le prochain chapitre, les émotions ont été très peu étudiées en sciences cognitives. Actuellement, les émotions sont largement considérées comme relevant elles-mêmes des engrenages de la cognition et font, par conséquent, l’objet d’études en neuroscience cognitive.

Ainsi, des ouvrages tels que « Cognitive Neuroscience of Memory » de Nilsson et Markowitsch (1999), « The Cognitive Neuroscience of Action » de Jeannerod (1997), « The Cognitive Neuroscience of Face Processing » de Kanwisher et Moscovitch (2000), « Cognitive Neuroscience of Attention » de Richards (1998), ou encore « The Cognitive Neuroscience of Vision » de Farah (2000b) sont récemment parus sur les thèmes classiques et fondateurs de la neuroscience cognitive. Il faut cependant souligner que l’apparition de l’ouvrage « Cognitive Neuroscience of Emotion » édité par Lane et Nadel (2000), de l’ouvrage « Understanding other minds : perspectives from developmental cognitive neuroscience » de Baron-Cohen (2000) et, plus récemment encore, l’ouvrage « Cognitive Neuroscience of Consciousness » édité par Dehaene (2002) témoignent selon nous d’un élan d’intérêt de la neuroscience cognitive pour l’étude de l’esprit que l’on pourrait qualifier de chaud. Cette évolution en neuroscience cognitive d’un « esprit froid » désincarné vers celle d’un « esprit chaud » émotionnel, social et conscient tient probablement au développement des théories scientifiques concernant l’inscription du corps dans la cognition (Embodied Cognition, voir Clark, 1999), la cognition située (p.ex., Clancey, 1997) et la cognition sociale (p.ex., Ochsner & Schacter, 2000).

Il apparaît que cette évolution permet, et nous essayerons de le démontrer dans les chapitres suivants, de mettre à profit la richesse des concepts et méthodes de la neuroscience cognitive pour aborder la complexité des émotions.