Une illustration

Dans le but d’illustrer les flux d’informations, les entrées et les sorties du modèle computationnel, considérons la situation suivante : un individu se promène dans un bois. Dans ces circonstances, les spécificités de l’environnement sont analysées en continu, par l’intermédiaire des systèmes extéroceptifs (ces systèmes, p.ex., visuels, ne sont pas représentés dans la figure 3.1). Au cours de cette analyse, le cerveau opère également des computations sur les informations relatives à l’état interne de l’individu. Alors qu’il se promène, le traitement de certains stimuli de l’environnement peut mettre en oeuvre des réponses émotionnelles. Selon le modèle proposé, l’évaluation des situations émotionnelles est assurée par trois processus.

Le premier processus que nous décrivons conduit à une réaction émotionnelle de façon automatique et sans identification nécessaire du stimulus. Considérons la situation dans laquelle l’individu fait face à un serpent. Des représentations extéroceptives (p.ex., une représentation visuelle telle que « la forme d’un serpent » stockée dans le sous-système d’activation de patterns visuels, non représenté dans la figure 3.1) sont traitées par le sous-système de connexion stimulus-réponse, produisant ainsi une expression émotionnelle. Parmi les trois processus en question, celui-ci est le plus prompt à provoquer une réponse émotionnelle.

Considérons la situation dans laquelle l’individu, après une courte marche dans le bois, doit prendre la décision de continuer à marcher ou de monter à cheval. Un second processus pourrait alors intervenir. Parmi les entités cognitives impliquées dans une telle prise de décision, nous proposons que les représentations extéroceptive-intéroceptive stockées en mémoire associative jouent un rôle décisif. Si l’individu a déjà eu des expériences émotionnelles positives lorsqu’il montait à cheval, alors la mémoire associative stocke des représentations qui lient des représentations extéroceptives (p.ex., une représentation visuelle d’un cheval) et des représentations intéroceptives positives (patterns d’états internes positifs). L’activation de ces représentations peut induire une réponse émotionnelle selon deux voies. Selon la première voie, cette activation peut conduire à une expression émotionnelle réelle par l’intermédiaire des sous-systèmes de génération d’instructions émotionnelles et d’exécution émotionnelle qui génèrent l’état interne positif associé préalablement à l’expérience agréable de monter à cheval (un tel état interne est alors traité par le système de la façon décrite dans le paragraphe suivant). Selon la seconde voie, cette activation peut directement activer les patterns d’états internes positifs qui étaient associés à l’expérience agréable de monter à cheval. Une fois que le pattern d’états internes associé à la situation consistant à monter à cheval est activé, celui-ci participe à la prise de décision de monter à cheval plutôt que de marcher. Si, au contraire, des patterns d’états internes négatifs avaient été associés à la situation consistant à monter à cheval, alors les représentations extéroceptive-intéroceptive auraient participé à la prise de décision de continuer à marcher.

Le troisième processus implique l’activation de représentations en mémoire associative. Ce processus, contrairement à ceux décrits ci-dessus, conduit à une identification consciente de son propre état émotionnel. Scherer (1994) a proposé que la fonction principale des émotions soit de « découpler le stimulus et la réponse » ; il semble que le processus que nous décrivons maintenant assure notamment cette fonction, alors que ce n’est pas le cas des deux processus décrits plus haut. Considérons la situation dans laquelle l’individu, pendant qu’il est à cheval, fait face à un chien errant potentiellement dangereux. Le traitement d’une telle situation engendre une activation diffuse de représentations en mémoire associative. Cette activation de connaissances sémantiques est provoquée par l’engagement de nombreux sous-systèmes cognitifs dont certains ne sont pas décrits ici (voir Kosslyn & Koenig, 1995). L’activation de représentations en mémoire associative, reflétant le fait que de nombreux aspects de la situation sont identifiés, peut conduire à l’engagement d’un des deux sous-systèmes de génération d’instructions émotionnelles. Par exemple, le comportement de fuir le chien engage le sous-système de génération d’instructions émotionnelles liées à l’évitement. Une fois que les instructions sont générées, elles sont converties par l’intermédiaire du sous-système d’exécution émotionnelle en une expression émotionnelle (p.ex., modifications autonomes, endocrines, faciales et posturales corrélées avec le comportement de fuite). Cette expression émotionnelle représente un état interne qui est analysé, comme toute information perceptive, par un sous-système de pré-traitement et un sous-système d’activation de patterns. Lorsqu’un état interne est activé (i.e., un état interne particulier est reconnu comme familier), l’information transmise par le sous-système d’activation de patterns d’états internes à la mémoire associative est complétée par l’information provenant du sous-système d’appariement somatotopique. Si l’état interne est identifié dans le contexte des représentations activées en mémoire associative par la situation, alors l’individu ressent l’expérience émotionnelle consciente « d’avoir peur du chien » car de nombreux aspects de la situation, incluant l’émotion, sont identifiés.

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Fig. 3.1. Modèle computationnel des mécanismes émotionnels proposé par Sander et Koenig (sous presse) se fondant sur l’analyse computationnelle des émotions effectuée par Kosslyn et Koenig (1995) et sur les contraintes développées au chapitre 2.