Hypothèse des niveaux de traitement

Gainotti (1969) a proposé une interprétation alternative des résultats principaux soutenant « l’hypothèse de valence ». Suite à ses observations, il a considéré ‘« la réaction catastrophique comme statistiquement caractéristique des lésions de l’hémisphère dominant, et l’indifférence aux événements frustrants comme le propre des atteintes de l’hémisphère mineur’  » (Gainotti, 1969, p. 197). Remarquons que Gainotti juge plus approprié de proposer une opposition entre « réaction catastrophique » vs « manifestation d’indifférence » plutôt qu’une opposition « dépression » vs « euphorie ». Selon cet auteur, dans la mesure où les patients dont l’hémisphère gauche est lésé présentent des crises d’angoisse quasi-exclusivement lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés majeures (p. ex., troubles moteurs), Gainotti suppose qu’il s’agit d’une réaction normale, non-dépressive, face à une situation dramatique et catastrophique que vit le patient et qu’il a du mal à contrôler. D’autre part, selon cet auteur, il serait erroné de qualifier d’euphoriques les patients ayant une lésion droite car ils se révèlent insensibles aux échecs lors de l’examen neuropsychologique, indifférents à la maladie et expriment de la haine à l’égard de leurs membres paralysés. Un autre argument, évoqué par Damasio (1994), relatif aux comportements des patients anosognosiques (lésion droite) nous semble en faveur de l’interprétation de Gainotti. En se référant à ce type de patients, Damasio (1994) a décrit que lorsqu’on les informe qu’ils ont subi une grave atteinte cérébrale ou bien qu’ils souffrent d’un cancer généralisé, ils reçoivent la nouvelle avec sérénité, faisant preuve quelquefois d’humour noir, mais ne montrent jamais angoisse ni tristesse, chagrin ni colère, désespoir ni panique. Or, si ces mêmes nouvelles sont communiquées à un patient atteint d’une lésion affectant l’hémisphère gauche de façon symétrique, la réaction de ce dernier sera tout à fait normale.

L’interprétation des effets d’asymétrie hémisphérique que propose Gainotti peut être résumée comme suit : « ‘...les deux côtés du cerveau jouent un rôle complémentaire dans les conduites émotionnelles, l’hémisphère droit étant plus impliqué dans les composantes végétatives de base et l’hémisphère gauche dans les fonctions de contrôle supérieur des émotions ’ » Gainotti (1994, p.482).

Cette interprétation se base sur un certain nombre de résultats expérimentaux. Les études portant sur les réponses végétatives aux stimuli émotionnels chez les sujets atteints de lésions hémisphériques unilatérales ont mis en évidence une baisse des réponses psychophysiologiques chez des patients cérébrolésés droits (Zoccolotti, Caltagirone, Benedetti, & Gainotti, 1986). Làdavas, Cimatti, Del Pesce, et Tuozzi (1993) ont abouti à une conclusion similaire en testant un patient split-brain. De plus, Mammucari et al. (1988) ont observé que, pendant la projection de films déplaisants, les participants normaux et les patients cérébrolésés gauches tendaient à adopter un comportement d’évitement en détournant leur regard de l’écran. Le fait que les patients cérébrolésés droits n’adoptent pas ce comportement d’évitement serait la manifestation de leur indifférence.

D’autre part, House, Dennis, Molyneux, Warlow, et Hawton (1989) ont souligné que des épisodes de pleurs brusques, imprévisibles et incontrôlables sont observés fréquemment chez des patients cérébrolésés antérieurs gauches. De plus, certaines études ont mis en évidence une expressivité importante de l’hémivisage gauche (hémisphère droit) pour les émotions négatives mais pas pour les émotions positives (voir Borod et al., 1997 pour revue). Ce résultat est à mettre en relation avec le fait que le sourire, expression faciale positive typique, est le plus utilisé dans la communication sociale. Or, puisqu’il s’agit d’une expression produite fréquemment de façon contrôlée, cette observation est cohérente avec l’hypothèse d’une dominance de l’hémisphère gauche pour les fonctions de contrôle émotionnel (voir aussi Laurent & Thomas-Antérion, 1998 pour une discussion sur la latéralisation du contrôle émotionnel).