Conclusion concernant l’asymétrie hémisphérique

Dans l’ensemble, la synthèse que nous avons exposée des hypothèses principales relatives à l’asymétrie hémisphérique des mécanismes émotionnels indique que les résultats expérimentaux obtenus, bien que non mutuellement exclusifs, semblent diverger largement et qu’aucune théorie ne les concilie. Ces résultats invitent à penser que le niveau hémisphérique n’est pas le niveau approprié pour poser une hypothèse de polarité et qu’il faut lui préférer le niveau des systèmes. En effet, adopter ce dernier niveau éviterait les erreurs communes concernant l’asymétrie hémisphérique des mécanismes émotionnels comme celle qui inaugure l’article de Windmann, Daum, et Güntürkün (2002) : « ‘The right hemisphere shows a preference for processing affective cues relative to the left hemisphere. ’ ‘This is a well-established finding, at least with respect to negative emotional valence.’ »

Malgré l’hétérogénéité des résultats et hypothèses, une ligne générale de réflexion peut se dessiner.

Premièrement, il apparaît que l’opposition entre un système émotionnel d’approche et un système émotionnel d’évitement, que Davidson corrèle à une asymétrie hémisphérique antérieure, rend compte d’une division au niveau de la génération des émotions. Cette proposition est totalement compatible avec l’hypothèse de valence. Davidson (1994) a proposé que puisque l’output du système d’approche, ainsi que celui du système d’évitement, s’exprime largement de façon bilatérale et synchronisée sur les deux moitiés du corps, alors il y a des avantages computationnels à ce que le contrôle de l’output de chaque système soit localisé dans un seul hémisphère (voir Kosslyn & Koenig, 1995 ; Rolls, 1999 qui s’accordent également sur ce point). Une interprétation en termes d’effet « boule de neige » (snowball effect) suggère que le système d’approche se soit développé de façon privilégiée dans l’hémisphère gauche car les mouvements d’approche nécessitent un contrôle manuel plus fin que les mouvements d’évitement, mettant à profit le fait que le cortex frontal gauche ait une fonction de conrôle moteur fin (comme cela a par exemple été mis en évidence pour le langage articulé, voir Kosslyn & Koenig, 1995). La même interprétation suggère que le système d’évitement se soit développé de façon privilégiée dans l’hémisphère droit car les mouvements d’évitement sont plus rapides et nécessitent une mobilisation du système nerveux sympathique plus importante que les mouvements d’approche, profitant ainsi du fait que l’hémisphère droit entretient une relation privilégiée avec le système nerveux sympathique (p.ex., Wittling, Block, Schweiger, & Genzel, 1998).

De ce fait, l’hypothèse d’une génération, plutôt contrôlée, d’instructions émotionnelles liées à l’approche, gérée préférentiellement par l’hémisphère gauche, et d’une génération, plutôt automatique, d’instructions émotionnelles liées à l’évitement, gérée préférentiellement par l’hémisphère droit, est globalement cohérente avec la théorie de Gainotti établissant un avantage de l’hémisphère gauche pour le traitement contrôlé des émotions et un avantage de l’hémisphère droit dans le traitement automatique de schémas émotionnels. Une telle distinction au niveau de la génération émotionnelle est également globalement cohérente avec l’hypothèse de Ross si l’on considère que les émotions sociales sont plutôt générées de façon contrôlée, alors que les émotions primaires sont plutôt générées de façon automatique. A ce jour, à notre connaissance, aucune recherche en neuroimagerie ou impliquant des patients cérébrolésés n’a apporté de résultats à l’encontre de l’hypothèse de Davidson, c’est-à-dire des résultats qui indiqueraient un avantage antérieur gauche pour le traitement de stimuli négatifs et un avantage antérieur droit pour le traitement de stimuli positifs. En revanche, des études de neuroimagerie ont révélé l’activation d’autres structures (selon nous non spécifiquement impliquées dans la génération d’émotions) de l’hémisphère gauche que le cortex préfrontal lors du traitement de stimuli négatifs. A cet égard, il est intéressant de noter que des connexions inhibitrices du cortex préfrontal vers l’amygdale ont été envisagées sur la base de recherches animales et en neuroimagerie (voir Davidson, Jackson, & Kalin, 2000). Par exemple, Hariri, Bookheimer, et Mazziotta (2000) ont montré, en IRMf, que dénommer des expressions émotionnelles négatives était associé à une diminution d’activation dans l’amygdale corrélant avec une augmentation de la réponse du cortex préfrontal droit. De plus, Maratos, Dolan, Morris, Henson, et Rugg (2001) ont montré que la reconnaissance de mots présentés dans un contexte émotionnel négatif par rapport à un contexte neutre était associée à une augmentation d’activité à la fois dans le cortex préfrontal dorsolatéral droit et dans l’amygdale gauche. Ce dernier résultat est en faveur de l’hypothèse d’un lien privilégié entre ces deux structures situées dans des hémisphères différents et impliquées à différents niveaux dans le traitement des stimuli émotionnels.