2) Interprétation en termes d’un avantage hémisphérique droit pour le traitement des stimuli négatifs

L’interprétation alternative considère que si une structure est impliquée dans un effet caractéristique d’une classe de stimuli, alors cette structure est impliquée dans le traitement des stimuli appartenant à cette classe.

L’effet du facteur polarité émotionnelle était significatif à la fois pour les bonnes réponses et pour les temps de réponse : les participants répondaient plus lentement et faisaient plus d’erreurs pour les stimuli négatifs que pour les stimuli positifs. Le fait que ce biais de négativité (voir Cacioppo & Gardner, 1999) aille dans le même sens pour les deux analyses indique l’absence d’un compromis entre la rapidité de la réponse et sa précision. Nous suggérons deux interprétations possibles de ce biais de négativité. La première interprétation propose que ce ralentissement pour les stimuli négatifs provienne du fait que les stimuli négatifs pourraient produire chez l’homme une réponse proche de la réponse de « freezing » de l’animal. Une telle réaction produirait un effet d’interférence à l’étape de la réponse motrice. La deuxième interprétation propose que le biais de négativité ne reflète pas une différence à l’étape de la réponse motrice mais plutôt à l’étape de l’évaluation. Ito, Larsen, Smith, et Cacioppo (1998) ont conduit une étude utilisant la méthode des potentiels évoqués pour déterminer l’étape qui tend à être la plus influencée par des informations négatives par rapport à des informations positives de même intensité (biais de négativité). Précisément, cette étude visait à déterminer si ce biais de négativité se produit à l’étape évaluative de catégorisation, en sachant que les potentiels évoqués sont plus sensibles à cette étape qu’à celle de la réponse. Ces auteurs ont observé une augmentation de l’amplitude des potentiels positifs tardifs pour les stimuli négatifs par rapport aux stimuli positifs. Selon ces auteurs, ce résultat, répliqué par Ito et Cacioppo (2000), est en faveur de l’hypothèse selon laquelle le biais de négativité se produit à l’étape initiale de catégorisation en classes selon la polarité. Par conséquent, le ralentissement qui a été observé dans notre étude pourrait refléter une asymétrie fonctionnelle dans le traitement des stimuli négatifs et positifs (Dahl, 2001 ; Pratto & John, 1991). Cette asymétrie trouve une interprétation dans le cadre de l’hypothèse de mobilisation-minimisation proposée par Taylor (1991). Selon cet auteur, un événement négatif évoque des réponses physiologiques et cognitives rapides. Cette mobilisation de l’organisme est suivie par un ensemble de réponses physiologiques, cognitives et comportementales qui minimisent l’impact de cet événement. Selon cet auteur, ce pattern de mobilisation-minimisation serait plus important pour les événements négatifs que pour les événements positifs ; cette différence expliquerait l’asymétrie comportementale aux événements négatifs et positifs. Le biais de négativité serait médiatisé notamment par le système attentionnel (p.ex., Carretié, Mercado, Tapia, & Hinojosa, 2001 ; Öhman, Flykt, & Esteves, 2001). Le ralentissement dans les temps de réponse aux stimuli négatifs par rapport aux positifs (p.ex., Dahl, 2001 ; Padovan, Versace, Thomas-Anterion, & Laurent, 2002 ; Pratto & John, 1991 ; voir aussi Cacioppo & Berntson, 1994) pourrait s’expliquer notamment par la tendence des stimuli négatifs à retenir l’attention qui serait engagée plus longtemps que les stimuli positifs (Fox, Russo, Bowles, & Dutton, 2001).

L’existence de cet effet caractéristique des stimuli négatifs conduit à poser la question de la spécialisation hémisphérique d’une façon alternative : l’hémisphère spécialisé dans le traitement des stimuli négatifs est-il celui qui les évalue le plus vite ou celui qui vérifie le plus le biais de négativité ?

L’interaction des facteurs polarité et hémisphère observée signifie que le ralentissement des temps de réponse aux stimuli négatifs (par rapport aux stimuli positifs) était supérieur lorsque les stimuli étaient présentés à l’hémisphère droit que lorsqu’ils étaient présentés à l’hémisphère gauche. Ce résultat indique par conséquent que le biais de négativité était significativement plus marqué pour les stimuli présentés à l’hémisphère droit que pour les stimuli présentés à l’hémisphère gauche. Ainsi, si l’on accepte que l’existence d’un biais de négativité est le reflet de l’évaluation des stimuli négatifs, alors nos résultats se doivent d’être interprétés comme suggérant un avantage hémisphérique droit pour l’évaluation des stimuli négatifs.