Discussion générale de l’Expérience 1

Les cinq expériences présentées avaient comme objectif général de tester l’hypothèse de polarité en étudiant l’asymétrie hémisphérique de l’évaluation émotionnelle. De plus, ces expériences visaient à préciser si l’évaluation émotionnelle se produit de façon implicite. L’Expérience 1.1, dans laquelle il était demandé aux participants d’effectuer un jugement hédonique, a permis de révéler une interaction des facteurs polarité et hémisphère ainsi qu’un avantage de l’hémisphère gauche pour le traitement des stimuli négatifs. Cet avantage hémisphérique gauche a été également obtenu dans l’Expérience 1.2 alors que la tâche des participants était de déterminer si les bordures encadrant les mêmes photographies étaient identiques ou différentes. Les trois expériences contrôles ont suggéré que cet avantage ne reflétait pas une supériorité de l’hémisphère gauche ni pour la tâche elle-même (Expérience 1.3), ni pour le traitement de photographies sémantiques (Expérience 1.4), ni pour le traitement de la composante perceptive des photographies (Expérience 1.5). Par conséquent, les résultats de l’Expérience 1.1 valident l’hypothèse de polarité (voir CC 4) et vont dans le sens de « l’hypothèse de valence revisitée » (voir CN 1). Les résultats de l’Expérience 1.2 et des expériences contrôles suggèrent que l’évaluation des stimuli négatifs est d’ordre automatique (voir CC 5).

Au moins deux limites de ce travail peuvent être signalées. La première limite concerne les expériences contrôles. En effet, comme cela apparaît clairement dans la figure 5.4, et principalement pour les expériences 1.4 et 1.5, le fait statistique de ne pas obtenir d’avantage significatif de l’hémisphère gauche ne signifie pas que les deux hémisphères sont égaux dans le traitement des stimuli. Ainsi, une telle absence de significativité doit seulement être considérée comme un indice. La seconde limite concerne les stimuli. Bien que ces stimuli aient été correctement sélectionnés sur la base de leur polarité, comme cela est attesté par un prétest et le faible pourcentage d’erreurs dans l’Expérience 1.1, il est possible que le facteur intensité émotionnelle explique une part importante de la variance. En effet, ce facteur peut représenter un « facteur confondu » dans la mesure ou les stimuli négatifs tendent à être plus intenses que les stimuli positifs (voir Davidson & Irwin, 1999). Cette seconde limite a été résolue pour l’expérience suivante (Expérience 2) par l’utilisation de stimuli standardisés provenant de l’International Affective Picture System (Lang & Greenwald, 1993).

Selon l’interprétation de nos résultats en termes d’un avantage hémisphérique gauche, le pattern d’asymétrie hémisphérique observé dans l’Expérience 1.1 n’est pas en accord avec l’interprétation de Davidson (1995) qui visait à clarifier les résultats hétérogènes de la littérature (voir CN 1). Selon cet auteur (i) l’hypothèse de valence et l’hypothèse d’activation asymétrique antérieure rendraient compte d’une asymétrie hémisphérique des fonctions d’expérience émotionnelle et d’expression émotionnelle alors que (ii) l’hypothèse de l’hémisphère droit rendrait compte d’une asymétrie hémisphérique de la fonction d’évaluation. Clairement, l’interprétation de nos résultats en termes d’un avantage hémisphérique gauche n’est pas compatible avec la proposition de Davidson (1995). En revanche, l’interprétation en termes d’un avantage hémisphérique droit est compatible avec l’analyse de Davidson (1995).

Comme cela a été évoqué dans la section consacrée à l’asymétrie hémisphérique des mécanismes émotionnels (chapitre 4), une origine de la confusion pourrait venir du fait que des mécanismes spécialisés pour la même polarité soient latéralisés dans des hémisphères différents. Il est possible que notre tâche n’ait pas engagé le cortex préfrontal droit pour le traitement des stimuli négatifs si les stimuli n’ont induit ni expérience ni expression émotionnelle. Au contraire, il est possible que notre tâche ait engagé l’amygdale gauche qui est probablement plus impliquée dans l’évaluation émotionnelle que dans l’expérience émotionnelle (p.ex., Anderson & Phelps, 2002). Seule une étude en imagerie cérébrale permettrait d’observer les implications des différentes structures, notamment l’amygdale gauche et du cortex préfrontal droit, dans l’évaluation des stimuli négatifs. Pour tester l’hypothèse de polarité dans l’évaluation explicite et implicite à un niveau intra-hémisphérique, l’expérience suivante (Expérience 2) a été conduite en IRMf.