Discussion

Les résultats obtenus dans la tâche de Stroop émotionnel correspondaient aux prédictions. En effet, les résultats ont révélé une interférence de la valeur des mots négatifs avec le jugement de couleur chez FC. Cette interférence n’est apparue significative chez aucun participant contrôle.

L’ensemble de nos résultats se doit d’être discuté dans le contexte de deux débats concernant les conditions d’observations de l’effet « Stroop émotionnel ». Ces deux débats s’avèrent d’ailleurs particulièrement pertinents pour discuter des deux hypothèses principales avancées dans notre thèse. Le premier débat s’inscrit dans le thème de « l’automaticité de l’évaluation émotionnelle » et le second s’inscrit dans le thème de « la polarité-dépendance ».

Le premier débat concerne la possibilité d’observer un effet « Stroop émotionnel » chez l’individu sain. La plupart des études ont utilisé le paradigme de « Stroop émotionnel » pour démontrer que certains stimuli émotionnels capturent de façon automatique l’attention de patients ayant des troubles émotionnels. Ces recherches comparaient généralement les performances d’un groupe de patients à celles d’un groupe de participants contrôles et mettaient en évidence un effet « Stroop émotionnel » chez la population clinique mais pas chez le groupe sain (voir William et al., 1996). Cependant, le fait que la valeur émotionnelle des mots n’interfère pas avec le jugement de couleur chez le sujet normal est en contradiction avec l’hypothèse selon laquelle les informations émotionnelles, principalement négatives, sont par nature évaluées de façon automatique (hypothèse d’automaticité de l’évaluation émotionnelle ; voir le chapitre 4 ). D’ailleurs, il est à noter que certains travaux ont pu mettre en évidence un effet de « Stroop émotionnel » chez le sujet sain (p.ex., McKenna & Sharma, 1995). Sur ce point, une série d’expériences menées par Sharma et McKenna (2001) nous semble critique pour expliquer pourquoi la plupart des expériences n’ont pas mis en évidence d’effet « Stroop émotionnel » chez le sujet normal. Ces auteurs (Expérience 2) ont démontré que l’intervalle inter-essais était déterminant dans l’observation de l’effet de « Stroop émotionnel ». Dans cette expérience, les auteurs ont manipulé ce qu’ils définissent comme la « pression temporelle (Time pressure) », opérationnalisée par la fréquence de présentation des stimuli. La manipulation expérimentale de l’intervalle inter-essais (32 ms vs 1000 ms) a ainsi permis à ces auteurs de mettre en évidence que l’effet de « Stroop émotionnel » varie selon la « pression temporelle ». Ainsi, ces auteurs ont pu mettre en évidence un effet « Stroop émotionnel » de 42 ms chez un groupe de participants sains dans la condition de délai court entre la réponse et l’apparition du mot suivant (i.e., intervalle inter-essais de 32 ms). En revanche, l’effet « Stroop émotionnel » n’était pas significatif dans la condition avec un délai long (i.e., intervalle inter-essais de 1000 ms).

Notons que dans notre procédure expérimentale l’intervalle inter-essais était long et que, puisque dans notre expérience un point de fixation de 500 ms précédait chaque mot, le délai entre chaque réponse et le mot suivant était de 1500 ms. Remarquons donc que, à la lumière des résultats obtenus par Sharma et McKenna (2001), les conditions expérimentales de notre étude n’étaient pas propices à l’observation d’un effet « Stroop émotionnel » chez le sujet sain. Dans notre étude, l’effet « Stroop émotionnel » attendu n’a d’ailleurs pas été obtenu dans l’analyse du groupe contrôle. De plus, aucun effet « Stroop émotionnel » pour les stimuli négatifs n’a été obtenu dans l’analyse par item de chaque participant contrôle. Cependant, malgré ces conditions, un effet « Stroop émotionnel » spécifique pour les mots positifs a été mis en évidence chez un participant contrôle, suggérant ainsi la possibilité d’une interférence de la valeur émotionnelle de mots avec le jugement de couleur chez l’individu sain dans une condition avec un intervalle inter-essais long. Cependant, il s’agit d’être prudent d’un point de vue statistique dans l’analyse de ce résultat : l’observation de cet effet n’était pas une hypothèse a priori et la significativité de nombreux effets a été testée, augmentant ainsi la probabilité d’obtenir par hasard un effet significatif. Notons tout de même que les conclusions de Sharma et McKenna (2001) concernant l’effet de l’intervalle inter-essais ne s’appliquent pas nécessairement aux mots positifs car ces auteurs ont restreint leurs stimuli émotionnels aux mots négatifs.

Le second débat guidant notre discussion concerne la possibilité d’observer un effet « Stroop émotionnel » pour les mots positifs. Peu de recherches utilisant le paradigme de « Stroop émotionnel » ont utilisé comme matériel expérimental des mots positifs (voir Williams et al., 1996 ; Sharma & McKenna, 2001 pour discussion) et, à notre connaissance, aucune étude n’a pu mettre en évidence un effet « Stroop émotionnel » pour les mots positifs chez un groupe de participants sains (a ce sujet, voir p.ex., McKenna & Sharma, 1995). En revanche, des études chez des populations cliniques ont pu mettre en évidence un effet « Stroop émotionnel » pour les mots positifs. Par exemple, Becker, Rinck, Margraf, et Roth (2001) ont testé plusieurs populations cliniques et observé un effet « Stroop émotionnel » à la fois pour les mots positifs et négatifs chez leur groupe de patients anxieux. Mais, à notre connaissance, aucune étude n’a démontré d’effet « Stroop émotionnel » spécifique pour les mots positifs chez une population clinique. Dans ce contexte, les résultats de FC, ainsi que les résultats de la plupart des études, vont dans le sens de l’hypothèse d’une polarité-dépendance de certaines étapes du processus automatique d’évaluation émotionnelle.

En considérant ces débats, il nous semble qu’au moins deux interprétations divergentes des résultats obtenus dans cette expérience sont envisageables.