L’automaticité : un problème et non une solution

Contrairement à ce qui est suggéré par l’approche néobéhavioriste des émotions (p.ex., LeDoux, 1996 ; Rolls, 1999), il nous semble que l’automaticité ne devrait pas être considérée comme une solution au problème de la complexité. Précisément, la capacité de l’être humain à évaluer automatiquement des événements ne doit pas être envisagée comme la réponse au problème de la complexité mais comme une question empirique légitime.

Un point essentiel lié à la problématique de l’automaticité trouve son origine dans une question séculaire que l’on peut résumer comme suit : est-ce la perception des variations corporelles, ou l’évaluation de l’événement causal de ces variations qui est à l’origine d’une expérience émotionnelle ? Cette controverse, la plus célèbre de l’histoire de l’étude des émotions, fut consacrée par James (1884) et Lange (1885). Ainsi, Lange (1885, p.673) affichait-il son questionnement dans les termes suivants :

« If I begin to tremble because I am threatened with a loaded pistol, does first a psychical process occur in me, does terror arise, and is that what causes my trembling, palpitation of the heart, and confusion of thought; or are these bodily phenomena produced directly by the terrifying cause, so that the emotion consists exclusively of the functional disturbances in my body? »

En choisissant la seconde option (i.e., les phénomènes corporels sont produits directement par la cause terrifiante), James et Lange ont fondé ce qu’il est convenu d’appeler la théorie périphérique des émotions (voir le paragraphe consacré à la contrainte CF9). Par ce choix, ils ont aussi fourni un terrain épistémologique apte à concevoir que l’automaticité puisse être considérée comme une solution au problème de la complexité. En effet, une notion décisive dans la théorie périphérique est énoncée par Lange : « directly ».

Cette notion « directement », qui peut être traduit en termes computationnels comme l’équivalent du concept « automatiquement», aurait dû contribuer à poser une question fondamentale : quel mécanisme cognitif permet une évaluation automatique (directe) d’un événement émotionnel ? Au contraire, elle a contribué à écarter cette question et a été considérée comme une solution au problème de l’évaluation sans qu’il n’apparaisse nécessaire d’expliquer la cause des variations périphériques par l’intervention d’un mécanisme cognitif. Or, la caractérisation des mécanismes automatiques, y compris de ceux dits de haut niveau telle que l’évaluation, représente un objectif majeur des sciences cognitives (voir Bargh & Ferguson, 2000).