Conclusion générale

Nous étions confrontés à une problématique nouvelle, celle de l’acceptabilité d’une nouvelle mesure tarifaire. Sur la base des rares études existantes, essentiellement anglo-saxonnes, nous avons d’abord réalisé un état des lieux des questions que semblait soulever notre interrogation. Puis sur la base d’une typologie des arguments avancés par les acteurs, nous avons construit un cadre d’analyse des changements tarifaires bâti sur la confrontation des dimensions de l’efficacité économique (orienter efficacement la demande), de l’équité territoriale (garantie d’accessibilité), de l’équité horizontale (principe de l’usager-payeur), et de l’équité verticale (bien-être des plus défavorisés). La validation qualitative de ce dernier, sur la base des quelques expériences d’introduction menées, a montré que la restriction de la liberté de choix existante provoquait le refus du péage, cela d’autant plus que les différentes dimensions de l’équité pouvaient s’autoalimenter dans leurs effets négatifs.

D’un point de vue épistémologique notre recherche a reposé sur une double ambition. Elle se situe d’abord dans une logique de raisonnement popperienne suivant laquelle toute affirmation scientifique doit être réfutable. Non pas au sens où l’affirmation est nécessairement fausse mais au sens ou l’on peut s’efforcer de rechercher les situations où le modèle ne s’applique pas. Dans notre cas l’acceptation a donc été étudiée par son contraire, le rejet. Elle tente d’autre part de rapprocher les démarches empirique et théorique suivant un aller-retour (feed-back) permanent. Aussi sommes-nous parti d’un problème de la vie quotidienne pour lequel nous avons recherché dans la littérature économique des éléments d’explication. Puis sur la base du cadre d’analyse construit nous avons recherché une validation par des travaux empiriques. Pour finir, nous avons regardé comment les résultats obtenus pouvaient en retour interroger la théorie et comment cette dernière pouvait alors nous fournir de nouveaux éléments d’explication et en comprendre les enjeux.

D’un point de vue méthodologique, à la suite des travaux de Bates (1988) et Mc Fadden (1998), notre démarche empirique a utilisé deux outils qui sont souvent utilisés séparément. La nouveauté de la problématique nous a en effet conduit à utiliser d’abord une méthode d’enquêtes par préférences déclarées en insistant sur sa phase préparatoire puis face aux limites de cet outil et à celles de notre propre questionnaire, nous l’avons complété par des données indépendantes qui nous ont permis d’évaluer sur la base de calculs de variations de surplus les variations d’efficacité et d’équité introduites par la mise en place d’une nouvelle infrastructure à péage dans l’agglomération lyonnaise (Téo). Les éléments de validation quantitative obtenus devront dès lors être confirmés par de nouvelles études.

D’un point de vue théorique, l’intérêt de notre recherche est d’avoir mis en évidence l’importance de la liberté dans l’analyse de l’économie du bien-être. Cela autant par une approche de l’économie du droit, à travers la distinction entre les droits-libertés inaliénables et les droits-créances contraints par l’évolution de la rareté économique, que par une étude du choix social inhérent à son pouvoir de veto sur la décision collective. Plus que l’argument de l’inégalité du péage, il ressort en effet que c’est la restriction de la liberté de choix qui conduit au rejet de la nouvelle mesure. Plus globalement, la liberté renvoie au débat sur l’évaluation du bien-être. En effet, soit la liberté est envisagée comme un variable qualitative et alors elle ne peut pas être prise en compte par le calcul habituel de l’utilité. Soit elle peut s’appréhender grâce au nombre des opportunités offertes et peut alors être intégrée par l’utilité. Dans le premier cas, le problème de la pondération entre les dimensions, même si elles sont qualitatives, n’est toutefois pas résolu (comment pondérer la santé, l’éducation). Dans le second cas, l’interrogation porte sur la définition des opportunités, la liberté de choix s’exprime-t-elle alors simplement sur le nombre des opportunités offertes, sur un nombre minimal d’opportunités, ou sur la flexibilité des opportunités ?

D’un point de vue pratique enfin quelques éléments peuvent être dégagés. En plus de l’importance fondamentale du maintien de la liberté de choix existante, deux grands principes apparaissent essentiels. D’abord, l’acceptabilité d’une nouvelle mesure tarifaire nécessite de tenir compte de la situation telle qu’elle existe avant l’introduction, ce qui a pour corollaire la nécessité d’une mise en application au cas par cas. Ensuite, comme les deux grands types de péage ne soulèvent pas les mêmes difficultés, leurs conséquences en matière d’acceptabilité diffèrent. Si à court terme le péage de financement de type création d’un nouveau tronçon, suscite le moins de risque de rejet, il conviendra toutefois d’insister à la fois sur l’indispensable maintien des alternatives existantes, et sur le service rendu par cette nouvelle infrastructure (cette politique d’accroissement de l’offre est-elle toutefois viable à long terme ?). Au contraire, un péage de régulation de la demande, de type péage de cordon, dont les effets bénéfiques en matière d’environnement restent encore hypothétiques (ce qui implique de poursuivre le travail mené sur les évaluations des bienfaits environnementaux), et qui réduirait la liberté des individus a de fortes chances d’être rejeté (ce qui interroge également sur la capacité des transports en commun à offrir une alternative efficace). Aussi, pour ne pas arriver à cette extrémité 4 , à laquelle s’ajoute le souci de ne pas engager d’investissements dont l’importance des coûts n’aurait d’égal que le risque de rejet, l’utilisation de manière conjointe de la modulation tarifaire sur les infrastructures existantes (avec comme le prescrit la théorie des tarifs très élevés aux heures de pointes) et d’une régulation de la congestion par la file d’attente pourrait alors être une solution (compte tenu de la congestion croissante, accrue par le report d’une partie du trafic qui quitte l’infrastructure payante à cause de la hausse des tarifs, l’allongement de la durée des déplacements va finalement décourager certains des utilisateurs qui vont se reporter alors sur les transports collectifs).

La question posée, est alors de savoir jusqu’à quel point notre équité pourra nous rendre ce que notre économie nous retranche.

Notes
4.

«La première fonction du planificateur est donc d’abord de faire cesser les pénuries ; tout critère qui permet à la fois de rationner un bien en situation de pénurie et de contribuer à mettre fin à la pénurie mérite d’être considéré » J-B de Foucauld (p.254, 1995).