Arguments en modalité auditive

Plusieurs modèles animaux ont permis d’explorer les conséquences d’une destruction cochléaire, partielle ou totale :

  • diminution de l’activité spontanée et des réponses évoquées du nerf auditif (Lieberman & Kiang, 1978; Wang et coll., 1997),
  • destruction des fibres afférentes primaires par des processus excito-toxiques en cas de traumatisme acoustique (Kim et coll., 1997),
  • destruction axonale dans les noyaux cochléaires (Morest et coll., 1998) et les relais auditifs du tronc –complexe olivaire supérieur, lemniscus latéral et colliculus inférieur - par des phénomènes de dégénération trans-synaptique (Morest et coll., 1997 ; Sie & Rubel, 1992).

La réduction de l’activité spontanée du noyau cochléaire qui en résulte pourrait conduire à son tour à des modifications des champs récepteurs neuronaux. En effet, la tonotopie des neurones du noyau cochléaire fait qu’ils sont organisés en couches “ iso-fréquentielles ” connectées entre elles par des fibres nerveuses jouant un rôle d’inhibition latérale. Une diminution des informations afférentes en provenance du nerf auditif, secondaire à une lésion cochléaire localisée, pourrait donc entraîner une levée de l’inhibition latérale sur les zones adjacentes à la lésion - là où l’inhibition latérale relative à la zone lésée s’exerçait antérieurement- (Salvi et coll., 1990 ; Salvi et coll., 1996). Le rôle inhibiteur de neurotransmetteurs comme le GABA est par ailleurs bien connu au niveau du noyau cochléaire et des relais auditifs plus centraux (Caspary et coll., 1984; Yang et coll., 1992). Des processus d’inhibition latérale ont pu être démontrés sur les connexions excitatrices de nombreux neurones des voies auditives centrales lors d’expérimentations testant ces neurones autour de leur CF (Evans & Nelson, 1973, Evans & Zhao, 1993, Shofner & Young, 1985, Young & Voight, 1982).

Une hyper-activité neuronale au niveau des noyaux auditifs a pu être mise en évidence au niveau des noyaux cochléaires ventral (Boettcher & Salvi, 1993) et dorsal (Kaltenbach & McCaslin, 1996), du colliculus inférieur (McFadden et coll., 1998; Salvi et coll., 2000 ; Wang et coll., 1996) ainsi que du cortex auditif (Eggermont & Komiya, 2000 ; Kimura & Eggermont, 1999 ; Qiu et coll., 2000).

Salvi et coll.. (1996) ont enregistré chez le chinchilla les potentiels évoqués unitaires au niveau du nerf cochléaire et des relais auditifs du tronc cérébral inférieur après traumatisme cochléaire par un son de fréquence supérieure de 1/3 à 1 octave à la CF des neurones enregistrés. Ils ont observé une diminution de l’amplitude du potentiel d’action composite (PAC) du nerf cochléaire contrastant avec des signes d’ hyperactivité des voies auditives centrales :

  • augmentation de l’amplitude des potentiels évoqués du colliculus inférieur aux fréquences épargnées par la perte auditive, dans les 8 heures suivant le traumatisme cochléaire (Figure 1),
  • augmentation du taux de décharge de certains neurones du noyau cochléaire dorsal et colliculus inférieur,
  • élargissement des courbes d’accord de ces neurones vers les fréquences graves, ce résultat étant en total accord avec le modèle de levée d’inhibition latérale (Figure 2).

Les populations neuronales présentant ces signes d’hyperactivité avaient pour particularité d’avoir initialement une fonction taux de décharge/intensité de stimulation non linéaire et des courbes d’accord très étroites, c’est-à-dire une forte probabilité de recevoir de fortes connexions latérales inhibitrices.

Après administration de carboplatine, qui exerce une toxicité sélective sur les cellules ciliées internes, Qiu et coll.. (2000) ont mesuré chez le chinchilla les potentiels auditifs corticaux enregistrés in situ : leur amplitude pouvait rester stable, augmenter à 1-2 semaines puis retrouver leur valeur initiale ou même rester élevées jusqu’à la 5ième semaine. Ce résultat, contrastant avec une diminution d’amplitude du PAC du nerf cochléaire, pourrait refléter un processus plastique visant à compenser la réduction des afférences en provenance de l’organe sensoriel périphérique.

Figure 1
Figure 1
FIGURE 2
FIGURE 2

Récemment, il a pu être montré que l’administration de bicuculline augmentait le champ récepteur des neurones du cortex auditif primaire en provoquant un élargissement de leur courbe d’accord (Wang et coll., 2000) (Figure 3). Cela laisse penser que les phénomènes de plasticité auditive cérébrale pourraient être sous-tendus par une le démasquage de connexions intra-corticales latentes, en relation avec une levée de l’inhibition GABA. L’augmentation d’efficacité de connexions latérales excitatrices permettait de comprendre que les champs récepteurs des neurones corticaux déafférentés puissent se déplacer vers les fréquences en bordure de la région cochléaire lésée (Irvine & Rajan, 1997).

FIGURE 3
FIGURE 3