Quels sont les critères de la réorganisation corticale auditive applicables à l’humain ?

En provoquant expérimentalement chez le chat des lésions mécaniques du tour basal de la cochlée, Rajan & Irvine (1996, 1998b) ont pu définir plusieurs pré-requis à l’observation d’une réorganisation des cartes tonotopiques de A1. Les conditions susceptibles d’être étendues à l’humain à partir de leurs résultats sont résumées ci-dessous :

  • la perte auditive doit résulter d’une lésion cochléaire définitive,
  • on ne peut s’attendre à observer une réorganisation en cas de lésion cochléaire minime (perte < 30 dB) ou en cas d’hypoacousie de transmission pure,
  • le niveau de perte à partir duquel une fréquence, dite “ fréquence critique ”, perd sa représentation corticale au profit de fréquences plus graves (dans le cas d’une surdité affectant les fréquences aiguës) correspond à un seuil du PAC du nerf cochléaire de 10 dB à 20 dB,
  • il faut une privation totale des afférences en provenance d’une région cochléaire de situation encore plus basale (correspondant à des fréquences plus aiguës que la fréquence “ critique ”),
  • la largeur de la bande fréquentielle susceptible d’être sur-représentée va de 1à 2 KHz pour une Fc de 18 KHz chez le chat, soit une largeur de bande de 1/6 à 1/12 d’octave autour de Fc.

Il est intéressant de noter que, d’après cette liste, l’importance de la pente de la perte audiométrique ne serait pas un critère à prendre en compte, puisqu’une pente faible n’exclue aucun des critères cités. Néanmoins, la plupart des cas rapportés de plasticité induite par une lésion cochléaire, qu’elle soit progressive (cas du vieillissement physiologique de l’appareil auditif, ou presbyacousie) ou brutale (cas des surdités provoquées expérimentalement) concernent des surdités profondes avec une pente de perte audiométrique abrupte (Rajan et coll.., 1993; Robertson & Irvine, 1989; Willott et coll.., 1993). D’après Rajan (1998), il est peu probable qu’une réorganisation corticale se produise avec une pente de perte audiométrique faible ou modérée.

A ce stade, il convient de souligner que les processus plastiques de réorganisation des cartes sensorielles corticales, en réponse à des modifications des informations en provenance des récepteurs périphériques, ne sont pas pour autant synonymes de changements significatifs dans les performances perceptives de l’individu. Talwar & Gerstein (2001), en appliquant des microstimulations électriques intra-corticales chez le rat, ont pu observer une augmentation de la représentation de certaines fréquences dans les cartes tonotopiques de A1. Cependant, cette réorganisation n’était pas accompagnée de modifications dans le comportement de discrimination fréquentielle (DF) de l’animal.