Corrélats perceptifs de la réorganisation corticale auditive décrits chez l’humain

Deux études publiées la même année rapportent des résultats contraires quant à la possibilité d’une amélioration des performances psychophysiques induite par la privation auditive chez le sujet cochléo-lésé (Buss et coll., 1998; McDermott et coll., 1998). Buss et coll.. (1998) ont mesuré les performances de sujets normo-entendants (n=3) et de sujets souffrant d’un déficit auditif à type de “ perte en pente de ski ” sur les fréquences aiguës (n=7) pour plusieurs tâches de perception auditive: détection de modulation de fréquence, discrimination d’intensité, détection de pause et discrimination de durée de pause. Il n’a pas été retrouvé dans cette étude de meilleures performances psychophysiques chez les sujets malentendants au niveau de leur Fc, par rapport aux sujets normo-entendants testés en présence d’un bruit de masque (simulation d’une perte audiométrique abrupte).

Tout au contraire, McDermott et coll.. (1998) ont montré que les performances de discrimination fréquentielle autour de Fc pouvaient être améliorées chez le sujet ayant une perte audiométrique “ en pente de ski ”. Leur étude a porté sur 5 sujets souffrant d’une surdité endo-cochléaire sur les fréquences aiguës répondant à ce critère. Les seuils absolus de détection étaient dans un 1er temps mesurés en réponse à des sons purs de 500 ms (temps de montée et de descente = 30 ms), selon une procédure adaptative utilisant des pas de 5 à 2 dB. Chez ces sujets avec un déficit auditif affectant les fréquences aiguës, Fc était définie comme la fréquence la plus grave à laquelle le seuil de détection mesuré était supérieur à 15 dB HL, et au-delà de laquelle la pente de perte était supérieure à 50 dB/octave. Dans un 2nd temps, une égalisation de sonie inter-fréquentielle était réalisée en utilisant une procédure adaptative à 2 intervalles, en prenant le son de 500 Hz comme référence, présenté à différentes intensités. dont une intensité de confort. La tâche consistait pour le sujet à identifier entre 2 intervalles, l’un contenant le son de référence, et l’autre la fréquence testée, celui qui lui paraissait le plus fort. Les courbes d’isosonie étaient tracées à partir de 5 points, la fréquence testée la plus basse étant 500 Hz et les 4 autres supérieures à 500 Hz. Enfin, les seuils de discrimination fréquentielle (DLF) étaient mesurés pour des stimulus présentés à un niveau de sonie constant, en utilisant la courbe d’ isosonie de “ confort ” (référence présentée à 45 dB SL). Les niveaux correspondants aux fréquences non testées dans la précédente étape étaient calculés par interpolation linéaire. Afin de diminuer encore le risque d’exploitation par le sujet d’indices résiduels de sonie, une randomisation d’intensité de +/- 3 dB était effectuée. L’analyse des résultats était réalisée en regroupant chez chaque sujet les fréquences testées en 3 bandes : une bande centrée sur Fc, une bande comprenant les fréquences plus graves (seuils absolus de détection < 33 dB HL) et une bande comprenant les fréquences plus aiguës (seuils de détection montrant une atteinte sévère ou profonde). Pour 4 des 5 sujets testés, les auteurs ont pu observé une réduction locale des DLFs à proximité de Fc (Figure 7). Chez ces sujets, les DLFs étaient significativement meilleurs dans la bande fréquentielle centrée sur Fc, comparativement à la bande des fréquences plus aiguës (résultat peu surprenant, de moins bonnes performances de discrimination étant attendues en cas de perte auditive), mais aussi, et surtout, comparativement à la bande des fréquences graves. Selon les auteurs, une augmentation du nombre de neurones répondant à une bande de fréquences étroite centrée sur Fc dans A1 pourrait expliquer l’amélioration locale des performances de discrimination observée. Ce résultat est probablement à rapprocher de celui de Teuber et coll. (cités par Irvine et coll., 2000a) qui, dès 1949, rapportaient chez des personnes amputées une amélioration du seuils de discrimination tactile au niveau du moignon d’amputation - par rapport au reste de la peau ou à la région cutanée correspondante chez le sujet contrôle - et évoquaient un remaniement central comme hypothèse explicative. Il ouvre des perspectives intéressantes quant à l’exploration des corrélats perceptifs de la plasticité corticale induite par la privation sensorielle.

FIGURE 7
FIGURE 7