OBJECTIF 1 : ETUDIER LES POSSIBLES CORRELATS PERCEPTIFS DE LA PLASTICITE AUDITIVE DE PRIVATION

L’étude conduite par McDermott et coll. (1998) sur les performances de discrimination fréquentielle du sujet cochléo-lésé semble aller dans le sens d’une réelle plasticité fonctionnelle du cortex auditif chez l’humain. Elle est en effet la première à souligner quels pourraient en être les corrélats perceptifs. Ses auteurs démontrent la possibilité d’une amélioration locale de la discrimination fréquentielle chez des sujets ayant une perte auditive à pente raide. L’amélioration qu’ils observent autour de la fréquence de coupure de l’audiogramme – “ effet Fc ” – est compatible avec l’hypothèse d’une réorganisation des cartes tonotopiques du système auditif central visant à augmenter la représentation des régions cochléaires adjacentes à la zone de lésion. Ce travail présente néanmoins plusieurs limitations: faible taille de l’échantillon (n=5), étude concernant uniquement des hypoacousies sur les hautes fréquences et avec une pente de perte très grande.

Dans un premier temps, nous avons cherché à reproduire et à étendre les résultats de McDermott et coll. (1998) en testant un large échantillon de sujets présentant une surdité secondaire à une pathologie cochléaire. L’audiogramme des sujets testés montrait une hypoacousie de perception touchant sélectivement une bande de fréquences graves ou aiguës, avec une pente de perte variable. La méthodologie employée était similaire. Elle permettait de rechercher des modifications perceptuelles autour de Fc, en prenant comme critère objectif la plus petite différence de fréquence perceptible entre 2 sons purs (c’est-à-dire le DLF). Nous avons également voulu préciser les caractéristiques de la surdité qui pouvaient être associées à une amélioration locale des DLFs. Les interrogations auxquelles nous avons tentées de répondre sont les suivantes :

  1. Observe-t’ on de meilleures capacités de discrimination fréquentielle au niveau de la fréquence de coupure par rapport aux fréquences plus graves et plus aiguës? Dans le cas contraire, peut-on tout de même montrer chez le malentendant une amélioration des DLFs dans une bande de fréquences données et, le cas échéant, préciser où se situe cette bande?
  2. L’étendue de la perte auditive et/ou l’importance de sa pente influent-t’ elles réellement sur les modifications des DLFs? Si oui, à partir de quel degré de perte ou de pente peut-on s’attendre à observer des modifications dans le traitement de l’information fréquentielle?
  3. L’amélioration des DLFs attendue au niveau de Fc est-elle tributaire du type d’atteinte cochléaire selon qu’elle affecte l’apex cochléaire (fréquences graves), sa base (fréquences aiguës) ou bien une portion très limitée des cellules sensorielles de la cochlée (perte auditive à type d’encoche sur une région fréquentielle réduite)?
  4. L’effet Fc traduit-il nécessairement un processus actif de réorganisation corticale chez le sujet cochléo-lésé ? Peut-on exclure formellement l’utilisation d’indices de sonie, en particulier chez les sujets ayant une pente de perte très grande ?

Afin de répondre à cette dernière question, nous avons testé un 2nd groupe de sujets en augmentant :

  • d’une part la précision de la procédure d’égalisation de sonie de ½ à 1/8 d’octave,
  • d’autre part le niveau de randomisation d’intensité pour la procédure de mesure des DLFs de +/- 3 à +/- 6 dB.

Chez ces sujets, nous avons cherché à savoir si des mécanismes périphériques pouvaient expliquer l’effet “ Fc ”. Ces vérifications nous sont apparues indispensables avant de pouvoir interpréter les résultats de McDermott et coll. (1998) comme la réelle conséquence d’une réorganisation corticale induite par la privation sensorielle. Nous avons également voulu vérifier la pertinence d’une des principales conditions à la réorganisation des cartes tonotopiques de A1 édictées par Rajan & Irvine (1998b), à savoir la présence nécessaire d’une région cochléaire n’envoyant aucune information au nerf et aux centres auditifs. Cette condition recoupe de récentes données de psychoacoustique selon lesquelles il est possible de mettre en évidence, en cas de perte auditive à pente raide, des zones cochléaires dites “ mortes ” (Moore et coll., 2000 ; Moore & Alcantara, 2001). Ces zones mortes cochléaires (ZMC) correspondent à des régions cochléaires caractérisées par une perte complète de la fonction des cellules ciliées internes (Moore, 2001).