CONCLUSION

L’ensemble des modifications perceptuelles et électrophysiologiques que nous avons observées chez le sujet cochléo-lésé témoignent de la remarquable adaptabilité des propriétés fonctionnelles du système auditif humain tout au long de la vie.

Ces observations appellent plusieurs remarques. Elles montrent tout d’abord que la plasticité auditive fonctionnelle de privation est susceptible de s’exprimer à des niveaux très différents du système nerveux: nerf cochléaire, noyaux du tronc cérébral, ou structures plus centrales impliquées dans la perception. Selon les résultats de l’expérimentation animale (Irvine et coll., 2000; Robertson & Irvine, 1989; Schwaber et coll., 1993; Willot, 1996) et de récents travaux de neuro-imagerie fonctionnelle (Dietrich et coll., 2001), les modifications perceptuelles observées autour de Fc pourraient être liés à une réorganisation de la tonotopie de A1.

Doit on pour autant considérer la plasticité fonctionnelle auditive chez l’humain - quelle soit de privation ou de réhabilitation - comme un processus impliquant systématiquement et dans une même mesure l’ensemble des voies auditives? Elle devrait alors se traduire par des remaniements ayant un impact aussi important sur tous les relais auditifs depuis la cochlée jusqu’au cortex. Chez le sujet atteint d’une surdité progressive (presbyacousie, exposition professionnelle au bruit) et chez l’adulte implanté cochléaire, il apparaît clairement que la privation auditive a des conséquences sur les centres auditifs et les noyaux du tronc. En revanche, nos résultats préliminaires chez l’enfant implanté cochléaire ne permettent pas d’exclure que l’amélioration dans le temps des corrélations entre mesures électrophysiologiques et psychophysiques soit surtout due à l’adaptabilité des cellules du ganglion spiral à de nouvelles stimulations.

Un des principaux défis à relever sur le chemin de la compréhension des mécanismes de plasticité auditive sera, dans les années à venir, de préciser leur décours temporel. Pourra-t’on définir, chez les patients que nous suivrons (enfants, adultes jeunes, sujets âgés), à partir de quel moment après l’installation de la surdité et avec quelle rapidité ces mécanismes se mettent en place? La question n’a pu pour l’instant être abordée que dans des cas de surdité d’installation brutale (Bilecen et coll., 2000). En cas de surdité d’installation progressive, il est difficile de connaître la date exacte d’installation de la surdité ce qui complique considérablement la tâche.

Il reste également à préciser si les processus de plasticité connaissent des limites et si oui à quelle échéance ces limites ou plateaux sont ils atteints. Enfin, ces limites différent elles en fonction du relais auditif concerné et/ou du type de population et de lésion? Une meilleure connaissance du décours temporel des phénomènes de plasticité permettrait d’affiner les stratégies de réhabilitation auditive.